Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/598

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

républicaines, mais elles avaient eu, ce qui était plus précieux encore, l’occasion de développer chez elles l’esprit républicain. Sauf quelques guerres contre les sauvages et quelques expéditions contre les Français, qui maintinrent au sein d’une existence toute commerciale et tout agricole une énergie dont devait profiter la lutte pour l’indépendance, l’histoire des colonies anglaises se compose presque uniquement de démêlés avec les ministres et le parlement, ou avec les gouverneurs envoyés d’Angleterre. C’est un combat pied à pied comme celui des communes du moyen âge contre les seigneurs féodaux, ou des républiques italiennes contre les empereurs. Il y eut des insurrections, — celle de la Virginie sous Bacon, qui brûla la nouvelle capitale Jamestown, comme les Russes ont brûlé Moscou, le complot de Birkenhead, tenté dans la même province par quelques vétérans de Cromwell : il y eut des démagogues qui soutinrent violemment la cause du peuple, et périrent abandonnés par lui, tels que Leyser à New-York, sous Guillaume III ; mais ce qui domina toujours, ce fut la résistance légale, le maintien opiniâtre d’un droit écrit, d’une charte, l’art d’éluder ou de lasser la tyrannie, et, même en s’y soumettant, la résolution de la combattre. Ces contestations, ces réclamations, cette opposition persévérante, qui sans cesse change de forme, et, quand un terrain vient à lui manquer, prend pied sur un autre, qui combat sans emportement, sans faiblesse, protestant toujours, cédant parfois, ne renonçant jamais, furent comme une guerre patiente, un siège lent et sûr, et se terminèrent par la proclamation de l’indépendance, préparée depuis plus d’un siècle.

Ce mémorable affranchissement fut amené graduellement par le développement naturel des principes de liberté qu’avaient apportés en Amérique les colons de la Nouvelle-Angleterre. Rien de théorique, d’abstrait, ne vint s’y mêler : ce fut toujours de la pratique et jamais de la philosophie. Je me trompe, il y eut une tentative de constitution créée de toute pièce par un philosophe : je veux parler de la constitution que Locke avait composée pour la Virginie, et dans laquelle, procédant à la manière du XVIIIe siècle par des combinaisons tirées de son propre esprit et non de l’état réel d’un peuple, il avait imaginé de donner à la Virginie une organisation féodale. Cette constitution, utopie d’un esprit sage, ce jour-là chimérique, après avoir, pendant quelques années, fait le désespoir de ceux à qui on l’avait imposée, disparut bientôt avec ses margraves et ses caciques. La ville de Penn, qui a eu la gloire de proclamer l’indépendance des États-Unis, a de plus exercé une influence particulière sur la nouvelle république. Les quakers et Penn à leur tête sont les vrais fondateurs de la tolérance religieuse dans un pays dont elle devait