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Diderot, rappelait un peu, qu’on nous passe ce rapprochement, le groupe de colons qui, juste un an auparavant, venait de proclamer l’indépendance américaine. Seulement il était plus facile de vaincre les Anglais que les comédiens. Ceux-ci, en apprenant la levée de boucliers des auteurs, s’assemblent de leur côté, appellent à leur aide quatre ou cinq avocats, le fameux Gerbier en tête, et se préparent à faire une vigoureuse résistance. Nous n’entrerons pas dans les détails de ce combat, parce que la plupart de ces détails sont consignés dans un mémoire publié par Beaumarchais, et qui, quoiqu’il soit moins lu que les mémoires contre Goëzman, n’est peut-être pas moins intéressant. On y voit les comédiens, habilement dirigés par Gerbier, traîner l’affaire en longueur pendant trois ans, déjouer et paralyser les manœuvres de Beaumarchais, semer la discorde dans le camp ennemi, circonvenir le duc de Duras, qui, après avoir déclaré qu’il casserait la Comédie si elle résistait, ne sachant plus où donner de la tête, adresse les auteurs à son confrère le duc de Richelieu, lequel, non moins ahuri, les renvoie au duc de Duras. Les comédiens feignent ensuite d’accepter un règlement proposé par les auteurs, sauf quelques modifications ; puis leur avocat Gerbier change la minute de ce règlement et obtient par surprise un arrêt du conseil qui sanctionne les prétentions des acteurs. Cet arrêt du conseil est révoqué sur la réclamation de Beaumarchais. Un second arrêt obtenu par lui est révoqué à son tour sous l’influence de Gerbier, jusqu’à ce qu’enfin le roi, fatigué de cette contestation éternelle, fait rendre proprio motu un troisième arrêt du conseil qui clôt momentanément la querelle, arrêt dont Beaumarchais ne parle pas dans son mémoire, et dont nous aurons à dire un mot. Ce qui nous intéresse surtout dans ce débat, ce sont les points qui restaient naturellement dans l’ombre à l’époque où la question s’agitait, ce sont les incidens secrets qui caractérisent les personnes et les situations.

Par exemple, le côté faible de cette première association des auteurs dramatiques fut l’esprit de jalousie. Dès les premières séances, les vingt-trois auteurs dramatiques ne s’entendaient plus. La majorité voulait des commissaires inamovibles ; la minorité, représentée par Lemierre, Rochon de Chabannes et trois ou quatre autres, s’opposait ardemment à cette inamovibilité, en alléguant un motif assez injurieux pour les commissaires, qui, disaient-ils, « ne manqueraient pas d’exploiter à leur profit le crédit que leur donnerait leur situation. » Au lieu de céder au vœu de la majorité, les opposans déclaraient vouloir se retirer ; de là une lettre inédite assez verte de Beaumarchais à Rochon de Chabannes, que nous reproduisons ici avec les apostilles de Marmontel et de Saurin.