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un enthousiasme dont la lettre suivante de Chamfort, lettre inédite comme toutes celles qui précèdent, suffira pour donner une idée :


« Je vous prie, monsieur, écrit Chamfort, de vouloir bien ne pas m’imputer le délai de la réponse que je devais à la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire. Je ne la reçois que dans l’instant à Chantilli, d’où je pars demain pour me rendre à votre obligeante invitation. Quoi qu’en dise votre modestie, monsieur, c’est un de vos droits les plus incontestables que celui de vous intéresser vivement au sort des écrivains dramatiques, comme c’est à l’auteur des Mémoires de s’intéresser au sort des gens de lettres en général. On peut avec raison se flatter que votre esprit, vos lumières, votre activité, trouveront le moyen de remédier aux principaux abus dont la réunion doit nécessairement anéantir l’art dramatique en France. Ce serait rendre un véritable service à la nation et lier encore une fois votre nom à une époque remarquable, gloire à laquelle vous avez sans doute pris goût. Telle pièce de théâtre, qui sera redevable de sa naissance à la réforme que vous amènerez, durera peut-être plus que telle ou telle cour de judicature, et le Philoctête de Sophocle a survécu au parlement de l’aréopage et des amphyctions.

« Je souhaite, monsieur, que les états-généraux de l’art dramatique qui doivent se tenir demain chez vous n’éprouvent pas la destinée des autres états-généraux, celle de voir tous nos maux sans en soulager un. Quoi qu’il en soit, je crois fermement que si vous ne réussissez point, on peut hardiment renoncer à l’espérance d’une réforme. Quant à moi personnellement, j’y aurai du moins gagné l’avantage de lier une plus grande connaissance avec un homme d’un mérite aussi reconnu et que les hasards de la société ne m’ont pas fait rencontrer aussi souvent que je l’aurais désiré.

« J’ai l’honneur d’être avec la plus haute considération, monsieur, etc.,

Chamfort,
Secrétaire des commandemens de son altesse sérénissime
monseigneur le prince de Condé.
« Chantilli, mercredi 2 juillet. »


Les états-généraux de l’art dramatique, comme les appelle Chamfort, se tinrent donc pour la première fois le 3 juillet 1777 chez Beaumarchais inter pocula. Il était parvenu à réunir et à faire fraterniser ensemble, le verre en main, vingt-trois auteurs dramatiques écrivant tous pour le même théâtre. Ce n’était pas peu de chose. Après dîner, on procéda à l’élection de quatre commissaires chargés de défendre les intérêts des auteurs et de travailler en leur nom au nouveau règlement demandé par le duc de Duras. Beaumarchais, moteur de toute l’entreprise, fut naturellement choisi le premier. On lui adjoignit deux académiciens, Saurin et Marmontel, plus Sedaine, qui, sans être encore de l’Académie, jouissait d’une considération très justement acquise. L’on prépara ensuite la déclaration d’indépendance contre les comédiens.

Cette assemblée d’insurgens, pour employer les expressions de