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nault fut, à ce qu’il paraît, le premier auteur dramatique dont une pièce fut achetée par les comédiens en 1653, non plus à prix fixe, mais avec le droit de toucher le neuvième de la recette qu’elle produirait. Cette convention, acceptée par Quinault, fut bientôt généralement adoptée pour tous les autres auteurs, et sanctionnée en 1697 par un règlement de l’autorité royale. Ce règlement donnait aux auteurs le neuvième de la recette pour les pièces en cinq actes, le douzième pour les pièces en trois actes, sauf le prélèvement des frais journaliers du théâtre, fixés à 500 livres pendant l’hiver et à 300 livres pendant l’été. Il statuait très équitablement que lorsque, deux fois de suite, ce chiffre de recette de 500 et de 300 livres ne serait pas atteint, les comédiens auraient la faculté de retirer la pièce ; mais il n’était pas dit qu’en cas de reprise heureuse, l’auteur perdrait tous ses droits sur son ouvrage.

Ce premier règlement fut en vigueur jusqu’en 1757. À cette époque, les comédiens français, très endettés, obtinrent du roi, non-seulement une somme destinée à payer leurs dettes, mais la faculté de vendre à vie des entrées au spectacle qui ne figuraient point dans le compte fourni à l’auteur. Ils obtinrent de plus la faculté de confisquer une pièce à leur profit aussitôt que la recette en serait tombée une seule fois, non plus au-dessous de 500 livres pendant l’hiver et de 300 livres pendant l’été, mais au-dessous de 1,200 livres l’hiver et de 800 livres l’été. Ils parvinrent enfin à faire passer en habitude de ne plus guère compter aux auteurs que la recette casuelle faite à la porte, de supprimer presque tous les autres élémens de la recette, abonnemens et loges ; de leur faire supporter sur ce produit casuel des frais journaliers évalués arbitrairement et une retenue d’un quart pour le quart des pauvres, qu’ils payaient à l’année moyennant une somme fixe trois fois moindre. Grâce à ces ingénieux calculs, quand la pièce était confisquée par eux comme n’ayant pas fait 1,200 livres de recette, elle en avait fait en réalité plus de 2,000, et quand elle dépassait le chiffre de 1,200 liv., le neuvième de l’auteur était rogné de plus de moitié. Quelquefois même les comptes fournis par la Comédie étaient empreints d’une originalité piquante. C’est ainsi qu’en 1776 un auteur du temps, Lonvay de la Saussaye, ayant fait représenter aux Français une comédie en trois actes, intitulée la Journée lacédémonienne, et demandant sa part sur la recette, on lui envoya un compte par lequel, après avoir constaté que sa pièce avait produit 12,000 liv. en cinq représentations, sous prétexte qu’il y avait eu des

    temps que la tragédie de Cinna. C’est triste ; mais d’un autre côté ce Montauron faisait grandement les choses : dix mille francs pour une dédicace ! Richelieu avait reculé devant ce prix, et il n’y a pas beaucoup de traitans de nos jours qui paieraient dix mille francs l’honneur de passer à la postérité, dont ils ne se soucient guère.