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dramatiques ne connaît peut-être pas bien exactement tout ce qu’elle doit à l’homme qui le premier a réuni en corps des écrivains jusque-là isolés, et qui le premier a lutté avec énergie pour leur assurer les droits dont ils jouissent. Pour faire comprendre toutes les résistances que Beaumarchais eut à surmonter, il faut d’abord exposer ce qu’était le droit d’auteur avant la révolution et tracer ensuite le tableau de cette lutte avec des documens nouveaux, qui nous permettront de peindre au naturel les personnes et les choses.

Aux débuts de l’art dramatique en France comme partout, la composition d’une pièce de théâtre n’avait aucune importance ; la pièce n’existait en quelque sorte que par la représentation. Au moyen âge, les auteurs des mystères ou sotties travaillaient gratis ou pour le plus mince salaire, ou faisaient eux-mêmes partie des acteurs. L’auteur dramatique le plus fécond du commencement du XVIIe siècle, Hardy, est indiqué par plusieurs écrivains comme ayant le premier tiré un produit de ses pièces[1] ; mais ce produit était bien mince, si l’on en juge par le propos suivant de la comédienne Beaupré, rapporté par Ménage, au sujet du tort que Corneille faisait aux acteurs en introduisant une hausse dans le prix des ouvrages de théâtre : « M. Corneille, dit Mlle Beaupré, nous a fait un grand tort : nous avions ci-devant des pièces de théâtre pour trois écus, que l’on nous faisait en une nuit. On y était accoutumé, et nous gagnions beaucoup ; présentement les pièces de M. Corneille nous coûtent beaucoup, et nous gagnons peu de chose. »

Les productions tragiques ou comiques de Hardy se payaient donc trois écus la pièce. Ce n’était pas bien cher, mais il faut dire aussi qu’elles ne valaient guère mieux[2]. À dater de Corneille, si les comédiens commencèrent à payer un peu plus cher les ouvrages de théâtre, néanmoins c’était toujours un prix fixe débattu entre l’auteur et les acteurs, prix très minime encore et qui n’empêchait pas le grand Corneille de mourir de faim ou à peu près et d’être obligé de recourir à l’affligeante industrie des dédicaces au plus offrant[3]. Qui-

  1. Cette opinion, reproduite par M. Guizot dans son étude sur Corneille, n’est peut-être pas d’une exactitude incontestable. Entre autres objections, on en trouverait une dans la première édition des comédies de Pierre Larivey, antérieur de plus de vingt ans à Hardy, et qui, dans un sonnet placé à la suite de la préface, se fait plaindre par un ami de ne pas retirer autant d’argent de ses pièces que Térence le Carthageois, ce qui semble indiquer qu’il en retirait un peu.
  2. L’auteur espagnol contemporain de Hardy, Lope de Vega, qui passe pour avoir composé comme lui huit cents pièces de théâtre, recevait pour chacune cinq cents réaux, c’est-à-dire environ cent trente francs. C’était un peu plus de trois écus ; mais c’était bien loin encore d’égaler ce que produit aujourd’hui le répertoire d’un vaudevilliste.
  3. C’est ainsi que pour mille pistoles un agioteur de l’époque, le traitant Montauron, acheta l’honneur de se voir comparé à Auguste et de passer à la postérité en même