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la raison qui l’a engagée à me faire écrire, eh ! pourquoi ne pas dire uniment les choses ? Tel qui paraît strict et rigoureux en discutant ses affaires est souvent l’homme le plus facile à obliger ses amis.

« Que la Comédie me fasse écrire que j’ai deviné juste et qu’elle n’entend pas faire tourner contre moi l’événement de cette représentation, s’il est maigre ou malheureux, et je donne de tout mon cœur mon adhésion au hasard de samedi prochain. Je serais désolé que la Comédie-Française eût la plus légère occasion de se plaindre de moi, qui espère avoir toujours à me louer d’elle.

« Réponse, s’il vous plaît. »


Le but de cette lettre de Beaumarchais est d’empêcher qu’on lui applique un des articles les plus bizarres de la législation un peu étrange qui régissait alors les rapports des auteurs dramatiques et du Théâtre-Français quant au partage du produit des ouvrages représentés. Toute pièce dont la recette descendait une fois seulement au-dessous d’un certain chiffre était qualifiée ouvrage tombé dans les règles, et devenait dès lors la propriété exclusive des comédiens, qui pouvaient la jouer de nouveau avec un grand succès et n’en devaient plus aucun compte à l’auteur. À cet abus s’en joignaient plusieurs autres non moins préjudiciables aux auteurs, et qui depuis longtemps entretenaient parmi eux une grande irritation contre les acteurs d’un théâtre seul investi du droit de jouer et la tragédie et la comédie.

Beaumarchais le plus riche des auteurs dramatiques, Beaumarchais pour qui le théâtre n’avait jamais été qu’un délassement et qui avait fait présent aux comédiens de ses deux premiers ouvrages, ne pouvait être taxé de cupidité en prenant en main la cause de ses confrères. C’est ce qui l’y détermina. Nous allons le voir ici, défendant pour la première fois les intérêts d’autrui plus encore que les siens, se lancer dans un nouveau combat contre des adversaires plus difficiles à vaincre que tous ceux qu’il a déjà combattus ; il vaincra cependant, mais ce n’est qu’après bien des années et avec l’appui de la révolution qu’il pourra venir à bout des rois et des reines de théâtre, réprimer la cupidité des directeurs et entrepreneurs de spectacle, faire consacrer l’indépendance et le droit des auteurs injustement spoliés. Jusqu’à la fin de sa vie, Beaumarchais ne cessera de plaider avec chaleur pour que la loi entoure de sa protection un genre de propriété non moins inviolable que tous les autres, et avant lui complètement sacrifié.

La société des auteurs dramatiques, aujourd’hui si puissante, si fortement organisée et qu’on accuse quelquefois, à tort ou à raison, d’avoir remplacé l’ancienne tyrannie des directeurs de théâtres et des acteurs par une tyrannie en sens inverse, la société des auteurs