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comme don Juan, comme Gil Blas, et a pris rang parmi les figures impérissables. Quand il aura donné toute sa mesure, après la Folle Journée, nous aurons occasion de l’analyser en détail et de l’étudier dans sa généalogie, qui est assez variée ; mais ce n’est pas seulement Figaro qui est original dans le Barbier. Bartholo, comme le remarque très bien La Harpe, n’est pas un tuteur banal, comme tous les tuteurs de comédie. Il est dupe, il n’est point sot ; il est très rusé au contraire, et il faut beaucoup d’adresse pour le tromper. De là, entre lui, Rosine, Almaviva et Figaro une rivalité de précautions et d’inventions qui se croisent, se déjouent, se renouvellent et se poursuivent avec un intérêt qui augmente de scène en scène jusqu’au dénoûment.

Quant au dialogue du Barbier, s’il n’est pas plus animé, il est plus tempéré, moins prétentieux et plus coulant que celui du Mariage de Figaro. Le défaut de Beaumarchais, on le sait, c’est l’abus d’une chose dont tout le monde ne peut pas abuser comme lui, c’est l’abus de l’esprit. Non-seulement il en donne trop à chacun de ses personnages, mais il leur donne à tous à peu près le même genre d’esprit, qui est le sien ; tous sont également féconds en saillies imprévues, en sentences plaisantes. L’auteur n’a pas cette suprême puissance de création qui permet à Molière de donner le jour aux êtres les plus différens, non-seulement par le caractère, mais par la tournure d’esprit. Il parle trop souvent par la bouche de ses personnages, et telle scène, plus ou moins habilement liée à l’action générale, n’a d’autre but que de lui fournir l’occasion de placer avantageusement une série de bons mots. Ces saillies, amenées de trop loin et tirées par les cheveux, sont plus fréquentes dans le Mariage de Figaro que dans le Barbier, où tout marche et s’enchaîne mieux ; cependant elles s’y rencontrent encore. En faisant remarquer que plusieurs de ces bons mots sont déjà connus et se trouvent ailleurs, La Harpe dit : « Apparemment Beaumarchais en tenait registre quand il lisait. » La Harpe ici a deviné juste. L’auteur du Barbier de Séville avait l’habitude d’écrire sans ordre sur des feuilles volantes, non-seulement les pensées sérieuses, comiques ou grivoises qui le frappaient dans ses lectures, mais toutes celles qui se présentaient à son esprit, et qu’il mettait en réserve pour en tirer parti plus tard. C’est ainsi que la plupart des traits et des sentences du Barbier ou du Mariage de Figaro, qu’on croirait au premier abord échappés à la verve de l’auteur dans le feu de la composition, se retrouvent çà et là dans cette sorte de répertoire, mêlés à une foule de réflexions historiques, politiques ou philosophiques, qui prouvent que l’esprit de Beaumarchais se nourrissait des élémens les plus divers.

Quoi qu’il en soit, le Barbier, tombé à la première représentation, relevé et rajusté par l’auteur, eut un plein succès à la seconde. On