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vieux tuteur amoureux qui veut épouser sa pupille. Beaumarchais, qui, comme Molière, prenait son bien partout où il le trouvait, a peut-être emprunté le fond et une partie des situations de sa pièce à une vieille comédie de Fatouville, jouée aux Italiens en 1692, qui porte pour titre le sous-titre du Barbier, la Précaution inutile, et présente quelque analogie avec la pièce de Beaumarchais. Probablement aussi l’auteur du Barbier a lu avec fruit l’opéra-comique de Sedaine : On ne s’avise jamais de tout. Le docteur Tue, de Sedaine, médecin, tuteur et amoureux de Lise, est de la même famille que le docteur Bartholo. Lise, avec une ingénuité plus complète que Rosine, n’est pas sans rapport avec la pupille de Bartholo. Dorval, l’amant de Lise, pourrait bien avoir contribué à donner l’idée d’Almaviva. Tous deux emploient, pour déjouer la jalousie du tuteur, des déguisemens analogues. Si Almaviva se travestit en soldat, puis en musicien, Dorval se déguise en vieux captif venant de Maroc, puis en vieille femme ; il chante en s’accompagnant de la guitare, comme Almaviva. Il y a même dans l’opéra de Sedaine une scène où Dorval, parlant à la duègne qui surveille Lise, emploie, pour se faire entendre de celle-ci, des mots habilement détournés qui rappellent la scène entre Almaviva, Rosine et Bartholo, au troisième acte du Barbier. Enfin, si le Barbier se termine par un mariage et l’intervention d’un alcade, On ne s’avise jamais de tout finit également par un mariage et l’intervention d’un commissaire. Mais des tuteurs amoureux et jaloux, des pupilles rebelles, des amans inventifs, des déguisemens, des commissaires ou des alcades, cela se trouve partout, est à la portée de tout le monde, et tout dépend de la manière de s’en servir. Beaumarchais n’avait donc pas tort de répondre à ceux qui lui reprochaient d’avoir copié l’ouvrage de Sedaine par cette saillie spirituelle qui est bien dans son genre d’esprit : « Un amateur, saisissant, dit-il, l’instant qu’il y avait beaucoup de monde au foyer, m’a reproché, du ton le plus sérieux, que ma pièce ressemblait à On ne s’avise jamais de tout. — Ressembler, monsieur ? je soutiens que ma pièce est On ne s’avise jamais de tout lui-même. — Et comment cela ? — C’est qu’on ne s’était pas encore avisé de ma pièce. — L’amateur resta court, et l’on en rit d’autant plus, que celui-là qui me reprochait On ne s’avise jamais de tout est un homme qui ne s’est jamais avisé de rien. »

S’il y a, en effet, quelque vague analogie entre l’opéra de Sedaine et le Barbier, ce qui n’est pas dans Sedaine, ce qui n’est nulle part avant le Barbier, c’est le personnage capital de la pièce, c’est Figaro, ce valet de comédie qui se détache au milieu de tous les valets de comédie, et qui est bien la propriété exclusive et la création de Beaumarchais. Quoi qu’on puisse dire de ce personnage, il est passé dans l’histoire de l’art à l’état de type, comme Panurge, comme Falstaff,