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Dans le manuscrit primitif, celui du Théâtre-Français, Bartholo se querellant avec ses domestiques, l’un d’eux, La Jeunesse, lui disait : Eh ! mais, monsieur, y a-t-il de la raison ? » Bartholo s’écriait : « C’est bon entre vous autres, misérables, de la raison ; je suis votre maître pour avoir toujours raison. » — Ici, sur le manuscrit même du Théâtre-Français, Beaumarchais avait remplacé de sa main les deux premiers mots de raison par le mot justice, ce qui faisait dire à Bartholo : « C’est bon entre vous autres, misérables, de la justice, » et ce qui rendait déjà la phrase un peu plus risquée ; mais il s’en était tenu là. Dans le texte définitif, en conservant cette modification, il complète sa pensée par ce passage audacieux, qui est resté dans la pièce imprimée, mais qui manque également au manuscrit du Théâtre-Français. La Jeunesse réplique à Bartholo : « Mais, pardi quand une chose est vraie ! » — Bartholo répond : « Quand une chose est vraie ! si je ne veux pas qu’elle soit vraie ; je prétends bien qu’elle ne soit pas vraie. Il n’y aurait qu’à permettre à tous ces faquins-là d’avoir raison ; vous verriez bientôt ce que deviendrait l’autorité. » Nous verrons tout à l’heure que Beaumarchais tenait particulièrement à ce passage.

Dans le manuscrit primitif, au dénoûment du Barbier, Beaumarchais faisait intervenir seulement un notaire ; dans le manuscrit retouché, Beaumarchais ajoute au notaire un juge, et, n’osant pas l’appeler par son nom, il l’appelle d’abord un homme de loi ; puis il rature le mot homme de loi et emploie le mot espagnol alcade, qui rend son idée avec moins d’inconvéniens. Enfin il établit dans sa dernière scène un dialogue entre Figaro et l’alcade, où le premier berne le second avec une rare effronterie. Cette partie de la scène fut jugée trop forte et contribua à la chute du Barbier à la première représentation. Beaumarchais la supprima à la seconde, et elle ne figure pas dans le texte imprimé du Barbier ; mais comme Beaumarchais n’aimait pas à perdre ce qu’il jugeait bon, il reproduisit ce passage, neuf ans plus tard, en l’adoucissant un peu, dans le Mariage de Figaro. C’est celui où Figaro, reconnu par Brid’oison, lui demande insolemment des nouvelles de sa femme et de son fils : « Le cadet, qui est, dit-il, un bien joli enfant, je m’en vante. » La scène était d’abord dans le Barbier de Séville, à la vérité elle y était plus forte encore, rendue avec une plus grande crudité d’expressions, mais c’était au fond toujours la même scène. Après avoir été sifflée en 1775, elle passa très bien en 1784.

La même observation s’applique à la tirade si connue du Mariage de Figaro sur goddam, le fond de la langue anglaise. Cette tirade était aussi primitivement dans le Barbier de Séville, Beaumarchais l’avait ajoutée, sur son second manuscrit, dans la scène de reconnais-