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sicien ne s’élevant pas non plus au-dessus d’un talent d’amateur. C’était à deux grands maîtres, Mozart et Rossini, qu’il était réservé d’ajouter le charme de la musique aux inspirations de Beaumarchais. Quant à lui, repoussé comme librettiste et arrangeur de musique espagnole, il prit le parti de transformer son opéra en une comédie pour le Théâtre-Français.

Le fait énoncé par Gudin, que l’auteur des paroles du Barbier était en même temps l’auteur de la musique, se trouve confirmé par un billet écrit, en date du 21 décembre 1772, par une cousine de Beaumarchais qui tenait sa maison après la mort de sa seconde femme. Elle rend compte à Julie absente de la transformation de l’opéra du Barbier en comédie, et nous donne ainsi la date précise de cette transformation : « Nous avons fait samedi, écrit-elle, un joli souper avec Préville (l’acteur de la Comédie-Française). Notre objet, ma Julie, était de lire notre pièce, qui a été trouvée d’un mérite supérieur pour le bon comique. Préville lui répond du plus grand succès. Il prend le rôle de Bartholo, Feuilly Figaro[1], Mlle  Doligny Rosine, Bellecourt le comte, don Basile, à notre choix, et nous allons vendre notre musique ; le sacrifice en est fait. Ne nous en parle plus. » Cette musique qu’on allait vendre, et à laquelle Julie semble tenir beaucoup, était évidemment la musique espagnole importée et arrangée par Beaumarchais.

Accueilli au Théâtre-Français après avoir reçu l’approbation du censeur Marin, le Barbier de Séville allait être joué en février 1773, lorsque survient la querelle de l’auteur avec le duc de Chaulnes que nous avons déjà racontée[2]. Beaumarchais est envoyé au For-l’Évêque, où il reste deux mois et demi, et la représentation du Barbier est forcément ajournée. Au sortir de prison l’auteur se préparait de nouveau à faire jouer sa pièce, lorsque tombe sur lui l’accusation criminelle intentée par le juge Goëzman : nouvel ajournement du Barbier de Séville. Cependant, l’immense succès de ses mémoires contre Goëzman ayant rendu Beaumarchais très populaire, les comédiens français veulent profiter de cette circonstance. Ils sollicitent la permission de jouer la pièce, ils l’obtiennent ; la représentation est annoncée pour le samedi 12 février 1774. « Toutes les loges, dit Grimm, étaient louées jusqu’à la cinquième représentation. » Alors arrive, le jeudi 10 février, un ordre supérieur qui fait cartonner les affiches et défend la représentation de la pièce. Ce jour même, 10 février, Beaumarchais publiait le dernier et le plus brillant de ses mémoires judiciaires. Comme on avait répandu le bruit que sa pièce

  1. La distribution des rôles indiquée ici fut modifiée à la représentation. Le rôle de Figaro fut créé non par Feuilly, mais par Préville, et le rôle de Bartholo, par Desessarts.
  2. Voyez la livraison du 15 novembre 1852.