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d’une humeur inflexible, sans pitié pour les malfaiteurs, mais fort aimé de la populace chinoise, dont il flattait les passions. Enorgueilli par le récent succès qu’il avait obtenu sur le gouverneur de Hong-kong, Séou traitait la colère des étrangers avec dédain. Il avait pour eux presque autant de mépris que de haine. Des traits durs et impassibles révélaient chez lui un singulier mélange d’astuce et de fermeté. Dans la force de l’âge, — il n’avait alors que cinquante-cinq ans, — il voyait une vaste carrière ouverte à son ambition, et pouvait aspirer encore aux premières dignités de l’empire. Son orgueil attendait avec impatience le moment de prendre une revanche éclatante des affronts que lui avait infligés le gouverneur de. Macao. Séou avait-il soudoyé les assassins d’Amaral ? avait-il eu du moins connaissance de leur projet ? C’est ce qu’aucun témoignage n’avait encore pu établir. Séou avait sans doute prévu la catastrophe qui venait de répandre le deuil dans Macao ; bien d’autres l’avaient prévue, l’avaient même annoncée avant lui. Ce qui était incontestable, c’est qu’il s’était mis en mesure d’en profiter. Des corps de troupes avaient été dirigés sur l’île de Hiang-shan ; un camp était établi près de la petite ville de Caza-Branca ; un fort depuis longtemps abandonné, qui commandait l’isthme traversé par la barrière chinoise, avait été armé secrètement et pourvu d’une nombreuse garnison.

La réponse de Séou à la communication de la junte portugaise ne fut point de nature à dissiper les soupçons qu’avait pu faire naître sa conduite ambiguë. Le vice-roi s’abstenait avec soin d’exprimer le moindre regret ou la moindre horreur de l’attentat qui lui était dénoncé. « Le noble gouverneur, disait-il, était pendant sa vie d’un caractère cruel. Qui sait si ses propres compatriotes n’auront pas armé contre lui des assassins pour satisfaire leur vengeance ? Vous me dites qu’on a vu affichés sur les murs de Canton des placards et des proclamations, et que les autorités chinoises ont dû en avoir connaissance. S’ensuit-il pour cela que le meurtre dont vous vous plaignez soit l’œuvre de ces autorités ? Vous me réclamez en même temps la tête et la main du gouverneur : où sont-elles ? Pour les trouver, ne faut-il pas avant tout découvrir les assassins ? Vos demandes sont donc complètement dépourvues de raison. — La loi sur l’homicide est claire. Avant de juger et de porter des sentences, il faut rechercher avec soin la vérité. La vie de l’homme appartient au ciel ; on ne doit point en disposer à la légère. »

Pendant que les autorités de Macao engageaient ainsi avec le vice-roi de Canton une polémique dans laquelle tout l’avantage devait rester à l’astucieux mandarin, les soldats portugais n’étaient pas demeurés inactifs. Ils avaient occupé la barrière et arrêté trois soldats chinois que le commandant de ce poste évacué depuis la veille avait