Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/515

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mouiller, pour attendre le jour, à l’entrée de la rade. Vers cinq heures du matin, je fus éveillé par la voix de notre pilote, qui semblait engagé dans un colloque des plus animés avec des bateliers chinois dont la barque passait en ce moment à quelque distance de la corvette. Je n’appris que trop tôt le sujet de leur entretien. Le gouverneur de Macao, le brave capitaine Amaral, auquel depuis longtemps toutes nos sympathies étaient acquises, avait été assassiné, dans la soirée du 22 août, à quelques pas de la barrière qui sépare la presqu’île portugaise du territoire chinois. Le soir même, la Bayonnaise jetait l’ancre devant Macao, et je recueillais de la bouche du ministre de France les horribles détails de ce triste événement.

On n’a point oublié l’habileté que déployait le capitaine Amaral dans l’administration d’une colonie dont sa mâle vigueur avait seule prévenu la ruine et l’abandon[1]. Depuis le jour où, attaqué par un millier de bandits, il avait, à la tête de quelques soldats, sévèrement châtié une tentative de surprise à laquelle les mandarins de Canton passaient pour n’être point demeurés étrangers, l’intrépide gouverneur avait adopté vis-à-vis des autorités chinoises un langage auquel ne les avaient point habituées ses prédécesseurs. Amaral ne voulait point voir dans la presqu’île cédée aux Portugais un don gratuit de la cour de Pe-king. Macao aussi bien que Hong-kong était, suivant lui, le prix de la victoire, non point d’une victoire remportée sur les troupes ou sur les vaisseaux de l’empereur, mais, ce qui valait mieux, d’une victoire remportée par les alliés de la Chine sur ses ennemis. Le territoire sur lequel flottait depuis plus de deux siècles l’étendart d’Emmanuel avait payé la dette contractée par l’empereur Kang-hi ; en vertu de cette concession maintes fois renouvelée, la colonie portugaise ne devait désormais relever que de l’autorité de la reine. Pour établir d’une façon incontestable le droit qu’il revendiquait, Amaral fit murer la porte de la douane chinoise et donna l’ordre de reconduire jusqu’à la barrière le délégué du hoppo, dont le rôle se bornait d’ailleurs, depuis deux ans, à favoriser de tout son pouvoir la contrebande entre Macao et Canton.

Ce dernier acte fut entre le capitaine Amaral et le vice-roi du Kouang-tong le signal d’une rupture complète. De toutes les mesures prises par cet homme énergique, ce ne fut point cependant celle qui exaspéra le plus les esprits. On sait quel culte le peuple chinois a voué aux tombeaux de ses ancêtres : honorer ces sépultures, y déposer de pieux sacrifices, telle est, à peu d’exceptions près, la seule pratique religieuse du peuple le moins spiritualiste de la terre. Amaral eut l’imprudence de froisser ce sentiment populaire.

  1. Voyez la livraison du 1er décembre 1851.