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du quartier malais, la maison du consul de France. Malgré l’heure matinale, nous n’hésitâmes plus à descendre à terre. Nous savions que nous allions frapper à la porte d’un exilé comme nous, et nous avions hâte de serrer une main sympathique, d’entendre parler de la France avec cet amour qu’une longue absence a toujours le don de raviver. Notre attente ne fut point trompée. Nous retrouvâmes sous le toit consulaire, à Singapore comme à Macao et à Manille, cette franche hospitalité qu’il est doux quelquefois de recevoir d’aimables et bienveillans étrangers, qu’il est plus doux encore de devoir à des compatriotes.

Nous n’avions que peu de jours à passer à Singapore, et il nous importait de les bien employer. Quand nous eûmes parcouru à la hâte les divers quartiers de la ville, traversé plusieurs fois le bras de mer qui sépare la cité marchande aux magasins voûtés et aux lourdes arcades des longues avenues de villas et de cottages qui s’étendent sur la rive opposée, quand nous eûmes visité la pagode chinoise, la mosquée malaise et le temple voué par les Hindous au culte de Brahma, nous préférâmes à de nouvelles courses les récits pleins d’intérêt du consul de France et des missionnaires catholiques, qui, de ce poste avancé, sont toujours prêts à se porter sur les côtes de la presqu’île malaise ou sur les côtes du royaume de Siam. C’est grâce à ces communications bienveillantes que nous pûmes, malgré la rapidité de notre passage, nous faire une idée assez précise de la situation présente et de l’avenir de Singapore. On sait comment le patriotisme ambitieux d’un homme de génie dota la Grande-Bretagne, enrichie presque à son insu, d’une colonie nouvelle. Sir Stamford Raffles n’avait pu voir sans un profond regret l’Ile de Java, dont il avait pressenti le développement agricole, échapper en 1816 aux mains de l’Angleterre. Devenu gouverneur de Bencoulen, sur la côte occidentale de Sumatra, il chercha pour son pays un dédommagement au sacrifice contre lequel il avait en vain protesté. Après bien des recherches, il finit par arrêter ses vues sur la petite île de Singapore, alors inculte et presque inhabitée, mais qui commandait l’entrée des détroits de Rhio, de Dryon et de Malacca. Vers le commencement de l’année 1819, il obtint, du sultan de Johore, vassal impatient de la Hollande, la cession de ce territoire, dont la superficie n’excédait pas 500 kilomètres carrés, et que nulle puissance européenne n’avait encore eu la pensée de convoiter. Par cette acquisition, si insignifiante en apparence, Raffles jetait les fondemens d’une ville qui ne devait point tarder à devenir la rivale de Manille et de Batavia. Des deux portes de l’extrême Orient, il occupait celle que le commerce anglais a le plus d’intérêt à ne pas laisser au pouvoir d’une nation étrangère. Le détroit de la Sonde ne met en communication