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rêves de l’imagination, dans les désirs et les actes de la volonté, une idée qui fait le fond de la vie intérieure, toujours présente, toujours agissante, l’idée de l’être parfait.

De la conscience individuelle, elle passe à cette conscience universelle dont l’histoire de l’humanité développe les replis. Elle trouve dans les symboles des cultes, dans les créations de l’art, dans les systèmes des philosophes, cette même idée de plus en plus éclaircie, épurée, agrandie par le progrès des âges. Enfin elle ne ferme pas les yeux au spectacle de la nature, bien que Dieu y soit peut-être moins visible que dans l’homme, et s’y manifeste sous des voiles plus épais. Elle s’adresse aux explorateurs du globe, du ciel, de la nature animée, et au fond de leurs théories ou de leurs conjectures elle trouve comme principe nécessaire, ou comme postulat vainement écarté, la cause divine, le géomètre éternel, le principe intelligent et immobile de l’ordre, de la vie et du mouvement.

C’est ainsi que par une triple expérimentation, celle de la conscience, celle de l’histoire et celle de la nature, se forme et s’accroît la philosophie des choses divines. Le raisonnement et le syllogisme ont ici le second rang ; ils sont au service de l’observation. Ce n’est pas avec des définitions et des théorèmes que se construit dans un ordre faussement régulier une ontologie creuse et factice ; c’est avec des faits et des lois tirées du fond le plus intime de la conscience que s’élabore lentement une théodicée vivante.

Cette conclusion laisse la gloire de saint Anselme en sûreté. Son argument du Proslogium reste comme le type le plus ingénieux de l’application de la logique pure à la philosophie ; mais ce qui reste surtout, ce sont les belles démonstrations platoniciennes du Monologium, recueillies par une philosophie amie de l’observation, de plus en plus dépouillées de leur appareil syllogistique et de leur caractère abstrait, telles que les conçut et les exprima l’auteur inspiré du Phèdre, du Banquet, de la République et du Phédon. C’est là aussi le dernier mot du livre de M. de Rémusat. Animé pour saint Anselme d’une sympathie qu’il excelle à faire partager, il n’a pas ces molles complaisances des panégyristes ordinaires. S’il décrit avec l’exactitude d’un érudit, s’il peint avec le coloris d’un artiste celui qu’il appelle avec raison le meilleur des moines, il le juge avec l’indépendance d’un philosophe. Par l’imagination, il est du XIe siècle, et le ramène vivant sous nos yeux ; mais sa raison est de notre temps, et personne ne fait mieux sentir que, s’il est utile de raconter le moyen âge et légitime de le respecter, il serait insensé de s’y asservir.


EMILE SAISSET.