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quelle conclusion faut-il donc aboutir sur les démonstrations de saint Anselme ? Selon nous, il ne suffit bas de dire que le syllogisme du Proslogium ne prouve rien, il faut aller jusqu’à reconnaître que le syllogisme en général n’a pas grand’ chose à faire dans la science des choses divines. Peut-être, en disant notre avis en quelques mots sur un point si grave, risquerons-nous, pour être précis, de paraître hasardeux et tranchant. Il nous semble pourtant que, si la philosophie française a de nos jours accompli quelque chose de solide et d’heureux, c’est la transformation radicale qu’elle a fait subir au problème de l’existence de Dieu et en général à la métaphysique tout entière. Jusqu’à ces derniers temps, la théodicée était trop souvent une science abstraite, une sorte de géométrie transcendante, où, au lieu de traiter des surfaces et des courbes, on traitait des attributs de Dieu. On y posait des axiomes et des définitions, on y accumulait des syllogismes. Les preuves de l’existence de Dieu se classaient en je ne sais combien de catégories. Venaient ensuite les attributs de Dieu, également répartis en un très grand nombre de subdivisions. Cet ordre sévère, ce caractère démonstratif et logique, qui ont leurs avantages dans certaines sciences, particulièrement dans les sciences de démonstration, tout cela était un héritage de la scolastique. À Dieu ne plaise que je conteste la solidité du célèbre traité de Samuel Clarke, mais il est certain que le raisonnement et la logique y dominent trop et y étouffent un peu la psychologie. Que sera-ce si l’on examine la théologie rationnelle de Wolf, avec son luxe de définitions, d’axiomes, de théorèmes et de corollaires, qui lui dorment un air de ressemblance avec les sommes théologiques du moyen âge, ou, si l’on veut, avec nos traités de géométrie ? Contre cette théodicée abstraite, j’avoue que la dialectique de Kant est puissante, mais j’ose dire qu’elle n’effleure même pas la théodicée véritable, celle qui est fondée sur la conscience, celle que chacun de nous porte en soi, qui s’appuie non sur des formules mortes et des concepts abstraits, mais sur des intuitions pleines de réalité et de vie.

Voilà le propre caractère que la philosophie française imprime chaque jour davantage à ses recherches sagement circonspectes dans la science périlleuse des choses divines. Elle consulte avec respect les grands traités de Bossuet, de Fénelon, et les solides ouvrages, déjà pourtant très inférieurs, des Clarke et des Wolf, elle va même chercher dans la poussière des bibliothèques les sommes trop négligées du moyen âge ; mais elle demande surtout la connaissance de Dieu à la contemplation philosophique des choses réelles. Son livre toujours ouvert, c’est la conscience humaine. Elle y trouve dans tous les jugemens les plus sublimes comme les plus familiers de la raison, dans les sentimens du cœur, dans les caprices et les