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curieuses de l’histoire de l’esprit humain, c’est que Descartes, qui ne lisait presque rien, qui certainement ne connaissait pas les écrits de saint Anselme, qui peut-être n’avait jamais entendu parler de ses argumens, ou qui du moins, si l’on suppose avec Leibnitz que ses maîtres, les pères jésuites de La Flèche, avaient eu occasion de les discuter devant lui, n’en pouvait avoir conservé tout au plus qu’un très vague souvenir, Descartes, abordant le problème de l’existence de Dieu au livre des Méditations, six siècles après saint Anselme, suit la même marche et reproduit sous d’autres formes les deux mêmes démonstrations.

Sorti vainqueur du doute universel et assuré de la réalité de son existence par celle de sa pensée, Descartes s’appuie sur ce solide fondement pour s’élever à la connaissance de Dieu. Il trouve en lui-même, d’une part, la conscience de son être imparfait, limité, sujet au doute et à l’erreur, de l’autre, l’idée de l’être tout parfait, infini, infaillible, laquelle, ne pouvant venir d’aucune cause imparfaite, ne saurait être que l’image du vrai Dieu, gravée par lui dans nos âmes, comme la marque de l’ouvrier. Voilà sous une forme, il est vrai, très originale, la démonstration platonicienne de l’existence de Dieu, celle du Monologium. Elle a ici un avantage particulier qu’on ne saurait trop remarquer, c’est de prendre pour base la conscience. Ce n’est pas seulement une preuve expérimentale, c’est une preuve psychologique. Mais si Descartes était un grand observateur, il était encore plus un grand géomètre. Il avait la passion des idées claires et distinctes, et il entendait trop souvent par-là cette clarté particulière, cette clarté de l’abstraction qui est propre aux mathématiques. Lui aussi, il veut un argument simple, indépendant de l’expérience, en dehors des réalités, vrai a priori, en un mot un argument géométrique. Convaincu de l’avoir trouvé, il consacre sa cinquième Méditation à le mettre en lumière et le présente comme une découverte subite et inattendue de son esprit :

En géométrie, dit-il, on raisonne sur des idées pures, telles que l’idée du cercle en soi, du triangle en soi, et de cette seule idée on déduit une foule de conséquences. et de même pour la sphère, la pyramide, le cône, et toutes les choses géométriques. S’assure-t-on, par exemple, à l’aide de l’analyse, que l’idée du triangle en soi implique cette condition, que la somme de ses trois angles soit égale à deux droits ; on n’hésite pas à affirmer que, dans tous les triangles réels et possibles, la somme des angles est en effet égale à deux droits. Il n’y a pas besoin de rien mesurer, de rien vérifier. Cela est certain a priori. Eh bien ! pourquoi l’existence de Dieu ne pourrait-elle pas se prouver aussi a priori, à la manière des géomètres, par la seule idée de Dieu considérée en soi, abstraction faite de toute