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l’analyse sur les mystères les plus profondément obscurs, ceux de l’incarnation divine, de la grâce, du péché originel.

On peut déjà estimer que la hardiesse de saint Augustin est grande : j’en appelle à quiconque a médité les Confessions, la Cité de Dieu, le livre de la Trinité ; mais aucun de ces écrits ne peut donner une idée de l’audace extraordinaire qui éclate à toutes les pages du Monologium. Cherchez dans cet ouvrage un seul texte des saintes Écritures, un seul récit, un seul fait, un seul témoignage, un seul appel à la tradition, vous ne l’y trouverez pas. La raison pure règne ici en maîtresse. Une âme qui se replie sur elle-même dans le silence des passions, dans l’oubli de la terre et des hommes, qui cherche en soi la vérité, pose des principes, déduit des conséquences, et forme ainsi une chaîne de pensées rigoureusement liées, — voilà le spectacle inouï que saint Anselme a donné à son siècle.

Quand on signale dans cette méthode le caractère du rationalisme, les organes d’un certain parti se récrient. Convaincus, ou voulant le paraître, que le rationalisme est un monstre effroyable qui porte dans ses flancs le panthéisme, le socialisme, l’athéisme et tous les fléaux, ils soutiennent que faire de saint Anselme un rationaliste, c’est le calomnier. Entendons-nous bien. Voulez-vous dire que saint Anselme est profondément chrétien ? Vous dites vrai, il l’est de profession, de doctrine, de parole, de cœur, il l’est de toutes les manières dont on peut l’être. S’il y a des historiens de la philosophie qui aient vu en lui un panthéiste déguisé, je les abandonne à vos railleries. Je conviens que trouver le panthéisme dans saint Anselme, c’est le trouver dans saint Augustin et dans Platon, dans saint Paul et dans l’Evangile ; c’est avoir les yeux affectés de cette maladie très connue qui fait trouver le panthéisme où il n’est pas et même où le contraire est clairement. — Voulez-vous ajouter que saint Anselme ne subordonne pas la foi à la raison ? C’est encore vrai. Il suffit pour s’en convaincre de lire le titre de ses écrits. « Je vais chercher, dit ce grand esprit, la raison de la foi. » Cela suppose la foi. « Je veux montrer, dit-il encore, la foi cherchant l’intelligence. » Cela signifie que la foi est le commencement pour saint Anselme, et l’intelligence de la foi le terme. Du sein d’une foi peu éclairée, saint Anselme aspire à une loi lumineuse ; il la demande à la raison. Celle-ci part de la foi, la développe, la perfectionne, l’achève, et saint Anselme peut dire avec Isaïe : Croyez et vous comprendrez. Tout cela est incontestable : qu’en faut-il conclure ? C’est que saint Anselme, dans le Monologium, entreprend une œuvre de théologien philosophe, non de pur métaphysicien. S’il eût fait abstraction de la foi, il n’eut pas été saint Anselme, il eût été Descartes.

Rendons à chacun ce qui lui appartient. Le propre de saint Anselme,