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M. de Rémusat, qui a l’avantage de porter en ces matières avec l’élévation d’un historien philosophe l’expérience d’un politique, démontre supérieurement que la question n’est pas susceptible d’une solution exclusive. Acceptez-vous le système qui fait de l’église catholique un pouvoir absolument indépendant de l’état ? Suivez ce principe, il vous mènera droit à la théocratie ; car l’église réglant souverainement les choses de la conscience, et la conscience étant mêlée à tout dans les affaires humaines pour l’honneur même de l’humanité, il s’ensuit que le souverain des consciences serait l’absolu souverain. On aurait ainsi la tyrannie la plus monstrueuse que les hommes aient jamais redoutée, tellement exorbitante, que si elle a pu en théorie séduire quelques esprits violens, quelques logiciens intrépides comme Joseph de Maistre, M. de Lamennais et M. de Montalembert, dans la pratique l’église n’y a jamais prétendu. Voulez-vous au contraire que le pouvoir religieux soit absolument soumis au pouvoir civil ? vous ne faites que changer de tyrannie. Au lieu d’un despote ecclésiastique, vous me proposez un despote laïque ; au tyran de Joseph de Maistre vous substituez celui de Hobbes ; le bon sens et la dignité humaine les repoussent tous deux.

Que faut-il conclure de cette impossibilité de subordonner absolument l’une à l’autre les deux puissances ? La nécessité d’une transaction ; elle s’est toujours accomplie, en dépit des prétentions extrêmes, selon l’esprit des temps et le cours mobile des choses. Au XIe siècle, Anselme, en accepta une qui fait le plus grand honneur à sa modération. Il consentit à consacrer les prélats qui auraient rendu l’hommage au roi, et lui-même au surplus, à son installation, ne l’avait pas refusé. De son côté, le roi Henri estimant nécessaire de ramener auprès de lui un primat cher à l’Angleterre, admiré à cause de sa science, populaire à cause de sa douceur, de sa simplicité, de sa charité, et pour tant de vertus révéré à l’égal d’un saint, le roi Henri, qui avait déjà cédé sur tous les litres particuliers du siège de Cantorbéry, céda encore sur l’investiture par la crosse et l’anneau.

Ici certains écrivains de nos jours, notamment Mœhler et M. de Montalembert, poussent un cri de joie, comme si la thèse ultramontaine venait de remporter un triomphe décisif ; mais en vérité, pour un esprit aussi absolu et aussi pénétrant que le futur historien de saint Bernard, c’est être content à bon marché ; car, sans nier l’avantage moral remporté par Anselme, quel était le fond de la question ? C’était de savoir qui choisirait les évêques. Or c’est un privilège dont le roi Henri n’eut garde de se dessaisir, M. de Montalembert lui-même en convient, et d’ailleurs j’en appelle à Lingard, qui ne peut être suspect : « En tout, dit l’historien catholique, l’église gagna