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tout en conservant leurs haines, semblaient avoir perdu l’élément qui les fait vivre, — l’espérance ? Par l’accord d’une pensée persistante chez le monarque et de la valeur personnelle de ses conseillers, le pouvoir paraissait avoir résolu, depuis le mois d’octobre 1840, un problème longtemps réputé insoluble ; il avait, à force de tempéramens et de prudence, triomphé en partie de l’esprit des institutions, car il était parvenu à concilier la stabilité ministérielle avec le jeu le plus libre, pour ne pas dire le plus désordonné, de la machine constitutionnelle. C’était sous le feu qu’alimentaient les plus implacables rivalités et les ambitions les plus impatientes que le dernier cabinet de la monarchie semblait s’être trempé depuis sept ans pour une durée indéfinie. Jamais la parole humaine n’avait jeté un voile plus brillant, mais malheureusement aussi plus épais, sur l’abîme entrouvert ; jamais pays n’avait moins soupçonné la faiblesse de ses institutions et de ses croyances politiques ; jamais la tribune n’avait été si retentissante et ne paraissait si ferme. Ce cabinet, destiné à disparaître dans la tempête après avoir vécu dans l’enivrement du succès, se complaisait volontiers dans les grandes joutes oratoires, où il pouvait répondre à ses détracteurs quelquefois par ses œuvres, souvent par le bonheur de sa fortune, toujours avec un éclat de talent qui ne se manifestait jamais mieux que dans les questions douteuses.

Appelé aux affaires pour maintenir la paix du monde en tirant la France d’une situation aussi grave que délicate, le cabinet du 29 octobre avait porté dans les affaires d’Orient la peine des vues incohérentes poursuivies par les ministères précédens, aussi bien que des illusions universelles que s’était faites l’opinion publique sur la puissance de l’établissement égyptien. Ces difficultés accumulées ne l’empêchèrent ni de demander ni d’obtenir des regrets et des angoisses de l’Europe l’annulation du traité du 15 juillet 1840, pour dicter lui-même les conditions auxquelles il pouvait rentrer dans le concert des grandes puissances. Si ce cabinet consentit d’abord une extension des plus regrettables à un principe dangereux de suprématie maritime, il trouva dans l’énergie du sentiment national la force nécessaire pour se dégager, et on le vit bientôt après imposée à l’Angleterre le retrait même de la convention de 1833 sur le principe du droit de visite, qui semblait pourtant consacrée par la pratique et par le temps. Donnant une opportune satisfaction au sentiment public, qu’aurait blessé la reprise des rapports d’intimité avec le cabinet signataire du traité de Londres, le ministère français se séparait avec éclat de l’Angleterre dans la plus grosse affaire alors pendante : il disposait pour un Bourbon de la main de la reine d’Espagne, et pour un prince français de celle de l’héritière de sa couronne, sauvegardant