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à imprimer aux ambitions des allures plus élevées que celles qui les ont si tristement compromises.

Je vais plus loin, et je n’hésite pas à penser qu’une représentation énergique des opinions avancées au sein de la chambre élective aurait été certainement bien moins funeste à la royauté que ce fond terne et uniforme sur lequel venaient trancher toutes les fougues de la colère et les plus froids calculs de l’égoïsme. Si l’opinion républicaine et les doctrines socialistes avaient pu faire pénétrer dans le parlement, leurs principaux organes, si l’opposition dynastique les avait eus à côté d’elle, à la tribune comme dans la salle des banquets, la présence de ces hommes-là aurait sauvé la monarchie, comme elle a sauvé l’ordre social sous la république, en excitant toutes les craintes et en groupant tous les intérêts. D’un autre côté, si l’opinion légitimiste, au lieu d’introduire à grand’peine une dizaine de membres au sein du parlement, avait pu, grâce à une législation électorale moins restrictive, y pénétrer dans la proportion de son importance numérique, la présence d’une telle minorité aurait eu des avantages considérables. Pas assez forte pour renverser la monarchie de 1830, non plus qu’elle ne l’a été pour jeter bas la république de I848, son intervention se serait naturellement exercée dans le sens des intérêts moraux et religieux, si heureusement patronés par elle après la révolution de février. Ne pouvant servir son principe politique, elle aurait servi ses croyances, et le travail qui s’opérait alors au sein de l’école catholique, sans que le gouvernement parût même en soupçonner l’importance, aurait eu probablement les plus heureux effets politiques. Deux élémens manquaient donc au pouvoir au sein des assemblées électives : l’opinion républicaine comme épouvantail, et l’opinion légitimiste comme point d’appui en certains cas. En les écartant au lieu de les contenir, on compromettait sa victoire, et l’on dépassait le but au lieu de l’atteindre.


V

Ou nous nous trompons, ou cet état général des esprits présente l’explication la plus légitime et la plus plausible de la pensée du prince dont l’active personnalité remplit le cours de ces dix-huit années. Le gouvernement direct et personnel n’était-il pas le contrepoids nécessaire de la situation parlementaire que nous avons rappelée et définie ? Comment contrebalancer autrement l’effet de ces égoïstes ambitions et de ces rivalités furieuses qui auraient joué la paix du monde pour la conquête d’un portefeuille ? N’était-il pas naturel que la couronne tentât de suppléer, par l’immutabilité de sa pensée politique, aux entraînemens de la tribune et aux intrigues des