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d’ailleurs par leurs liassions propres que par celles dont ils subissaient l’empire, et presque toujours mieux inspirés que les amis qui venaient, pour prix de leurs services, imposer à ceux-ci leurs colères, à ceux-là leurs exigences : funeste cortège qui faisait des chefs de parti les serviteurs de projets subalternes, et leur prêtait moins de force politique qu’il ne leur enlevait d’autorité morale en les plaçant à la discrétion d’ambitions impatientes ou de caractères intraitables. Pour résumer dans un seul épisode cette trop longue histoire des rivalités parlementaires, quel souvenir est demeuré plus vivant dans la conscience publique que celui de l’ardente lutte sous lequel succomba le ministère du 15 avril ? quelles traces longtemps obscures, mais depuis trop manifestes, cette triste lutte n’a-t-elle pas laissées dans la mémoire de la nation, et qui pourrait dire pour combien le souvenir de la coalition de 1838 est entré dans la réaction étrange aux phases successives de laquelle nous assistons depuis cinq ans ? Tous les événemens politiques n’engendrent pas immédiatement leurs conséquences ; mais, pour être éloignées, celles-ci n’en sont pas moins certaines. Comme toutes les puissances humaines, la puissance parlementaire avait abusé d’elle-même dans la plénitude de sa confiance et de sa force ; elle a donc aussi forgé de ses propres mains les armes que lui ont plus tard opposées ses ennemis.

Le gouvernement représentatif est sans doute et par essence celui des grandes influences personnelles. Ce qui fait à la fois sa difficulté et son honneur, c’est qu’il doit mettre chacun à sa place, compter avec chacun dans la mesure de sa valeur véritable, c’est qu’il impose à ceux qui ont conquis le pouvoir l’obligation permanente de justifier de leur droit et de le défendre victorieusement pour le conserver ; mais, pour qu’un tel mode de gouvernement ne devienne pas une œuvre d’art, une sorte d’élégante escrime, il faut d’abord que les hommes qui y participent s’honorent entre eux, et que chacun se respecte dans l’opposition comme au pouvoir. Il faut surtout que le talent ne se serve pas de but à lui-même, et que les partis se constituent au sein du parlement pour correspondre aux grands intérêts matériels qui divisent le pays, aux idées diverses qui dominent l’opinion, aux croyances qui partagent la conscience publique. Si une constitution aristocratique de la société imprime aux institutions constitutionnelles un jeu plus facile, un tel mode d’organisation n’est aucunement nécessaire pour qu’il y ait dans un grand pays tel que le nôtre des intérêts très divers à défendre, des doctrines opposées à faire prévaloir, soit dans l’ordre intellectuel et religieux, soit en administration, en économie politique, en finances ou en industrie. Il n’est donc aucunement impossible d’y organiser de grands partis et de grandes écoles vivant par une idée, inspirés par un intérêt,