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même de cette nation fameuse, la ruine a été pendant longtemps regardée comme complète. Babylone ne présente qu’un prodigieux amas de briques et de décombres en quelque sorte pulvérisés, que depuis doux mille ans les extracteurs de briques où sakkhârah exploitent comme une sorte de carrière, et il faut fouiller a une profondeur de plus de soixante pieds pour y rencontrer, non pas un monument encore debout, mais quelques briques restées intactes. Ninive de son côté, recouverte par les débris argileux de ses édifices transformés en sol végétal, est cachée sous la plaine ou sous les collines que couvraient autrefois ses palais. On ne pouvait donc, il y a quelques années, que se livrer à de vagues conjectures sur ce qui avait pu exister autrefois. Tout ce passé d’un grand peuple était mort, ses arts comme son histoire, sa langue et ses monumens.

Aujourd’hui cependant tout a changé de face, et depuis l’instant ou M. Botta a retrouvé la première dalle de marbre chargée d’un bas-relief assyrien, chaque jour ajoute une découverte nouvelle aux découvertes déjà faites. L’art et la civilisation d’un grand peuple reparaissent avec les monumens que d’infatigables explorateurs mettent en lumière. L’histoire renaît avec ces innombrables inscriptions dont le texte n’est plus aujourd’hui une langue morte. Non-seulement on a pénétré dans les salles de ces palais, cachés pendant des siècles sous l’argile accumulée, et on a recueilli les bas-reliefs et les sculptures qui les décoraient, mais on a retrouvé les terrasses, les colonnades, les aqueducs, toutes les dépendances de ces édifices, jusqu’aux celliers des rois, et les portes des villes, cintrées comme les arcs triomphaux des Romains, se dressent dans toute leur majesté, comme au jour où le prophète Jonas les franchissait en annonçant leur ruine prochaine.

Ces monumens, qui deviennent de jour en jour plus nombreux, et auxquels on peut ajouter aujourd’hui un premier spécimen de la peinture décorative des Assyriens, ont un style, un caractère communs, et portent le cachet d’une même école. Ces artistes ignorés et d’une si prodigieuse fécondité, qui décorèrent les premières cités que l’homme ait habitées, possèdent déjà la plupart des secrets de leur art. Ils connaissent la structure du corps humain ; ils savent en reproduire le mouvement et les attitudes avec une singulière énergie. Il y a plus, la manière dont sont traités les accessoires, — particulièrement les arbres, les eaux, l’architecture, la flamme qui dévore les édifices, — annonce une sorte de parti pris absolu ou de manière qu’on ne rencontre que chez les écoles expérimentées et qui touchent à la décadence. Cependant, à côté de cette science acquise et toute conventionnelle, on sent à certaines incorrections involontaires, ou qu’on n’a pas cherché à éviter, un art voisin encore de son