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et du curé ? Or quelle devait être la conséquence directe d’une telle lutte, si ce n’est une sorte de consécration théorique de toutes les passions ? Demander l’immolation de l’orgueil et de l’envie, l’acceptation spontanée de tous les sacrifices, parfois de toutes les humiliations, à un autre principe que le dévouement chrétien, c’était attendre de la nature humaine qu’elle se transformât elle-même et par sa seule puissance. Pour vivre volontairement de la vie des pauvres, lorsque, par le niveau de son intelligence, on est élevé au-dessus d’elle, il faut que la conversation de l’homme soit dans le ciel, et que ses espérances s’alimentent ailleurs que sur la terre. Transformer en une fonction le sacerdoce de l’enseignement primaire, imposer une vie de privations à des pères de famille qui adoptent cette carrière non par élection, mais par nécessité et faute de pouvoir s’en procurer une autre[1], c’est mettre toutes les irritations de la nature et de la vanité en contact avec cette âme du peuple qu’un souffle impur suffit à ternir et à ravager.

L’expérience est la seule institutrice des nations, et l’esprit ne supplée pas à ses leçons cruelles. Tout entier au but généreux qu’on se proposait d’atteindre, on était alors sans méfiance sur les moyens ; on s’engageait avec des instrumens dangereux dans l’œuvre immense de la moralisation populaire, à peu près comme on organisait le gouvernement représentatif sans s’inquiéter de savoir si les institutions fondamentales n’étaient point boiteuses, et si elles ne tendaient pas à amortir l’esprit public bien plus qu’à le susciter. Il fallait du temps pour que ces erreurs d’inexpérience apparussent dans tout leur jour. C’était quinze ans plus tard, dans l’enivrement d’une confiance, à peu près universelle, qu’allaient se révéler tout à coup les désastreuses conséquences de la prédominance conquise par l’élément rationaliste dans l’instruction populaire, et bientôt après la faiblesse de ce noble régime de garanties politique, que trop peu d’hommes aimaient d’un attachement sérieux et fort, mais qu’on réputait inébranlable parce que chacun le croyait cher à son voisin.

De ces périls latens, aucun ne parut à la surface tant que dura le combat contre l’anarchie ; c’était dix ans plus tard, dans la plénitude de la confiance et de la paix, qu’ils étaient appelés à se révéler. Cette période de lutte et de laborieuse fondation se prolongea jusqu’en

  1. On sait que la loi du 28 juin 1833 n’exigeait des communes qu’un minimum de traitement de 200 bancs. Ce minimum, augmenté par les contributions mensuelles et par les subventions départementales, n’élevait guère au-dessus de 400 francs le traitement moyen des instituteurs. Sur un nombre total de 40,524 instituteurs, 24,256 étaient mariés, et les membres des diverses congrégations religieuses étaient représentés par le chiffre de 2,136. Ils formaient donc environ le vingtième du personnel enseignant. (Rapport au roi du 1er novembre 1841, par le ministre secrétaire d’état de l’instruction publique, sur la situation de l’instruction primaire.)