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qu’à compléter sur un plan tracé par lui-même. La France pouvait montrer avec fierté, échelonnées sur le chemin de la vie du pauvre, ces institutions charitables qui le protègent dans sa faiblesse, le soulagent dans sa misère, assurent du travail à son âge mûr et un placement facile aux capitaux créés par ses sueurs. Que sont la plupart des institutions, d’un succès encore équivoque, créées depuis 1848 auprès de l’organisation des caisses d’épargne, ce grand-livre des classes ouvrières ? Quelle tentative pourra jamais, du moins par les sacrifices financiers qu’elle impose et l’immense personnel qu’elle constitue, être mise en parallèle avec cette fondation de l’instruction primaire, regardée comme une dépense obligatoire de premier ordre, pour l’acquit de laquelle se trouvaient assignés trois centimes spéciaux par commune, un centime et demi par département, indépendamment des larges subventions annuellement portées au budget de l’état ? Construire trente mille maisons d’école, établir soixante-seize écoles normales, former et entretenir trente-cinq mille instituteurs, c’est là certainement une œuvre gigantesque, dont on ne saurait méconnaître le caractère populaire, quelque amère déception qu’elle ait préparée à ses honorables auteurs. La classe gouvernante se trompa donc, non sur le but, dont l’honneur lui demeure tout entier, mais sur les moyens employés pour l’atteindre, et ses préjugés vinrent, sur ce point, faire échec à ses bonnes intentions. La loi du 28 juin 1833 est un grand monument de l’inexpérience politique qui dominait alors dans les régions du pouvoir, mais bien plus encore dans les régions parlementaires. Si, dans le haut enseignement, l’élément chrétien peut seul protéger l’intelligence humaine contre elle-même, combien la prépondérance de l’idée religieuse n’est-elle pas plus nécessaire encore dans la dispensation de l’instruction primaire, pour protéger les masses contre tant de cupidités brutales, et les maîtres contre les ennuis et les périls d’une mission pleine de dégoûts !

Les esprits éminens qui combinèrent les dispositions de cette loi étaient, à cet égard, aussi convaincus que nous pouvons l’être nous-même, et toutes leurs paroles constatent qu’ils entendaient faire à la religion une large part dans le ministère sacré de l’éducation populaire. Comment donc n’entrevirent-ils pas qu’ils sortirait de ces dispositions combinées des résultats tout différens de ceux qu’ils attendaient, et qu’ils s’exposaient à donner au socialisme, ce rationalisme des masses, tout ce qu’ils n’attribuaient pas à l’autorité ecclésiastique ? Comment ne comprenaient-ils pas qu’en matière d’enseignement populaire, la prédominance de l’élément laïque deviendrait l’un des grands et des plus prochains périls de l’avenir ? Était-il possible qu’une telle loi n’organisât pas sur tous les points du royaume l’antagonisme du presbytère et de l’école, de l’instituteur