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Donnant l’exercice d’un devoir pour corrélation à la jouissance d’un droit, la loi du 2 mai 1827 avait attribué la qualité de juré à tous les censitaires inscrits sur les listes électorales. Puis, assimilant la garantie, offerte par l’éducation à celle que présentait la propriété territoriale, elle avait ajouté aux censitaires à 300 francs les citoyens exerçant certaines professions libérales obtenues au prix d’épreuves précédées d’études dans lesquelles s’était absorbé un capital à peu près égal à celui auquel la loi rattachait la jouissance des droits politiques. En échappant au parti républicain et au dogme du suffrage universel, la révolution de juillet n’avait pas à proclamer en matière électorale un autre principe que celui-là. Elle était forcément conduite à fonder le droit politique sur la double combinaison du cens territorial et de l’aptitude légalement constatée. Cette garantie pouvait souvent sans doute demeurer illusoire, et l’on a aiguisé, non sans justice, bon nombre d’épigrammes contre les capacités ; mais après tout, si à leur éternel détriment certains capables se sont faits réformistes, on m’accordera du moins qu’il n’y avait pas à craindre qu’ils se fissent partageux, et que, tout dominés qu’ils pussent être par d’incurables préjugés, ils n’auraient jamais ballotté la France entre la perspective du pillage et celle du despotisme. D’ailleurs, lorsqu’un gouvernement répudie le principe qui transforme l’électorat en droit naturel, quand il repousse le dogme de la souveraineté numérique, il faut bien qu’il cherche quelque part des garanties d’aptitude. Or, où celles-ci peuvent-elles se rencontrer dans une société telle que la nôtre, si ce n’est dans la possession de la terre ou dans l’exercice d’une profession libérale préparé par des épreuves difficiles et dispendieuses ? L’éducation représente un capital comme la propriété foncière, et il y avait une moindre dépense à faire pour conquérir le titre de censitaire à 200 francs que pour devenir avocat, notaire ou médecin. La monarchie de 1830 dut donc reconnaître ce double droit : elle en fit l’application en 1831 au régime municipal, en 1833 à la constitution des conseils-généraux des départemens. La loi municipale[1] attribua la formation des conseils communaux à une assemblée d’électeurs réunissant les citoyens les plus imposés au rôle des contributions directes de la commune, selon une proportion déterminée par le chiffre de la population. Elle adjoignit à cette assemblée les médecins, avocats, notaires, juges, avoués, officiers de la garde nationale et fonctionnaires jouissant d’une pension de retraite, qui néanmoins ne pouvaient exercer leurs droits électoraux qu’avec un domicile réel établi dans la commune depuis un temps déterminé.

  1. Loi du 21 mars 1831.