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Feuerbach où le culte de la Vierge est présenté comme le symbole de la glorification de l’amour terrestre. Qu’importe cependant ? Au milieu des contradictions de cet esprit qui va ainsi de Novalis à M. Feuerbach, et des extases du moyen âge aux impiétés de l’athéisme hégélien, on sent de mystiques tendresses qui porteront leurs fruits. Le poète qui a trouvé de si doux accens pour glorifier la mère de Dieu ne chantera pas toujours, sous le costume d’Hafiz, l’hymne exalté de la matière. À cette alliance du sensualisme et des instincts religieux succédera une inspiration plus pure. M. Damner s’est débarrassé des liens de l’athéisme, il échappera aussi aux séductions de l’Islam. Malgré les caprices de Bettina, malgré l’auteur d’Abdul, malgré les beaux vers de celui qui a écrit Hafiz et Mahomet, l’école des muphtis ne prospérera pas en Allemagne. Qu’elle se hâte de justifier ses extravagances en poursuivant la réaction que nous avons signalée ; qu’elle achève de briser les liens de l’athéisme et de retrouver la lumière de l’esprit : — sinon sa dernière heure aura bientôt sonné, et elle ne laissera que le souvenir d’une fantaisie puérile.

L’Orient a toujours eu de singuliers attraits pour l’Allemagne. On ne saurait défendre à l’imagination germanique de s’associer aux travaux de la science et de s’enrichir à sa manière sur les pas des investigateurs qui nous dévoilent les secrets de l’Asie. Herder et Goethe ont pénétré avec un sentiment profond dans ces éblouissans mystères. Ce qu’a été pour notre littérature du XVIIe siècle la renaissance de l’antiquité grecque et latine, la renaissance orientale l’a été au siècle dernier pour la littérature de nos voisins ; mais ce qu’il faut chercher en Orient, c’est ce qui attirait l’âme affectueuse de Herder et le génie cosmopolite de Goethe. Quand la poésie hébraïque ravissait l’âme de Herder, ce noble penseur s’appliquait à répandre le dogme qui a été l’inspiration constante de sa vie : il voulait que l’unité de la famille humaine ne fût pas un vain mot et que nous sentissions battre en nous le cœur des nations disparues. Plus soucieux des beautés de l’art, Goethe travaillait à la même œuvre quand il écrivait son Divan oriental-occidental ; c’était toute une civilisation qui se levait, admirablement exprimée dans des strophes amoureuses. À leur suite, le comte Platen et Frédéric Rückert initiaient aussi l’Allemagne à ces trésors de la poésie persane que dévoilaient au monde savant les infatigables découvertes de M. Joseph de Hammer. À Dieu ne plaise que nous blâmions de telles œuvres ! Ce serait renier l’esprit même de notre âge. Ces sympathiques et ardentes recherches qui débrouillant sur tous les points le chaos du passé, déblayant les monumens enfouis, pénétrant le secret des littératures les plus lointaines, commencent à éclairer tout entière la vénérable figure du genre humain, seront certainement la meilleure gloire du XIXe siècle.

Les écrits qui se rattachent à ce mouvement général exciteront toujours un intérêt très vif. Voici un poète qui s’est beaucoup occupé de certains peuples orientaux et de leur littérature ; heureusement il n’appartient pas à la petite église de M. Daumer, mais à l’école de Goethe, M. Bodenstedt, c’est de lui que je parle, a passé plusieurs années dans le Caucase ; il a vu la Géorgie, et il a résidé à Tiflis. Les peuples de ces sauvages contrées ont attiré dans ces derniers temps beaucoup d’intrépides voyageurs. M. Bodenstedt est un