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sages contemplatifs. Tout occupé de philosophie religieuse, il composa des chants d’un ascétisme sublime, et devint le maître le plus vénéré de la théologie musulmane. Plus tard, il railla ses premières croyances avec une hardiesse inouïe, il attaqua le mysticisme et ne chanta plus que le vin et l’ivresse. C’était, dit M. Daumer, l’ivresse de la nature, l’intelligence profonde et exaltée de ce monde où nous a placés le créateur ; Hafiz avait dégagé du mahométisme la vérité qu’il contient, et il en était le grand-prêtre. On sait quelle est la grâce audacieuse des chansons de Hafiz ; M. Daumer les traduit, les imite, les commente, puis, sous le masque de son poète, il se met à chanter à son tour, et tous les tons se croisent dans une étourdissante symphonie. Tantôt ce sont des cris de joie, des railleries légères, de joyeux tableaux rapidement dessinés :

« Partout l’eau et le bruit des vagues ; ô malheur ! quel déluge ! Fuyons, fuyons vite dans l’arche, — dans le cabaret ! — Là siège, avec ses enfans, le père Hafiz, le pieux patriarche.

« Gloire à toi, gloire, ô Noé de notre temps ! Tu as sauvé le monde une seconde fois. Dans les abîmes de l’eau sont ensevelis le muphti et le scheick, le pédant et le scolarque. »

Tantôt l’exaltation sensuelle prend en quelque sorte un caractère sacré. Hafiz est véritablement le grand-prêtre, le patriarche inspiré qui remplit une fonction en chantant sa folie. Cette préoccupation religieuse, si bizarrement associée à l’ivresse de la matière, éclate avec plus d’évidence encore dans le deuxième recueil de. M. Daumer, Mahomet et son œuvre, là, c’est la gravité qui domine. Après des préludes composés de hauts hébreux et arabes, le prophète parait, son Coran à la main. M. Daumer en reproduit maintes pages avec une merveilleuse puissance. Ce sont des paraboles, des récits historiques, de mystiques légendes, des proverbes moraux, et enfin, pour couronner l’œuvre, tout un chapelet de prières. Ne cherchez pas ici un reflet du Divan de Goethe ou des poésies de Rückert ; une imagination convaincue a pu seule produire un tel ouvrage. Afin qu’il n’y ait point de doute, les explications placées à la fin du volume font ressortir la supériorité morale et religieuse du mahométisme sur l’enseignement du Dieu crucifié. Tout récemment enfin, l’année dernière, M. Daumer a publié un nouveau recueil qu’il place encore sous la protection d’Hafiz. Après les folles ardeurs du premier livre et la gravité austère du second, voici la grâce amoureuse et la sérénité souriante ; M. Daumer semble avoir peint tout son tableau et terminé sa prédication. Il suffira d’en citer quelques strophes :

« Haiiz a étendu sur la terre l’épée triomphante de sa parole ; sa volonté est de devenir le maître, le monarque, l’empereur du monde ; mais une royauté aussi douce, aussi bienfaisante que celle qui commence avec lui, on n’en connut jamais ; jamais non plus elle n’aura de fin.

« O bibliothèque du printemps ! que tu es grande ! que tu es magnifique ! chacune de ces milliers de petites feuilles est un livre plein de sagesse, qui apprend la science de la vie aux cœurs intelligens. Quel dommage que l’homme soit si insouciant à l’étude, et son esprit si émoussé !

« Je ne vois plus le soleil ; où s’est-il enfui ? J’appelle en vain la joie ; qui nous l’a dérobée ? Le rossignol se tait, la rose est flétrie ; le monde est dépouillé