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le Midi ni l’Orient aient été complètement oubliés. Nous avons sous les yeux une traduction du vieux poème du Cid, par M. Wolf, des Romances espagnoles et portugaises, par MM. Geibel et Paul Heyse, les Sonnets de Camoens, par M. Louis d’Arentsschildt, et les Sirventes au grand poète de la Provence, Pierre Cardinal, par M. Max Waldau. Il est manifeste pourtant que ces dernières traductions intéressent plus l’érudition et l’histoire que la poésie véritable et les espérances de l’avenir. C’est aussi une œuvre d’érudition, mais très neuve et très curieuse, que nous a donnée M. Abraham Geiger dans son Divan d’Abul-Hassan Juda-ha-Levy. Déjà M. Henri Heine, — c’est une des meilleures inspirations de son Romancero, — nous avait fait connaître le grand poète juif du moyen âge, cette bette âme que Dieu avait baisée ; et qui faisait retentir dans toutes les strophes de ses chants comme le frémissement des divines tendresses ; il avait raconté avec un mélange d’enthousiasme sublime et d’ironie aimable la première enfance du poète, ses études, ses extases, sa jeunesse passée à l’ombre enivrante du Talmud. M. Abraham Geiger nous trace aujourd’hui le portrait fidèle de Juda-ben-Halevy. Ses principales hymnes, traduites avec amour et accompagnées de notices pleines d’intérêt, nous montrent tour à tour le poète religieux dont les strophes se chantent depuis sept siècles dans toutes les synagogues du monde, le penseur qui empruntait tant de vues hardies aux mystères du Talmud, le pieux voyageur enfin qui voyait sans cesse en soufre les images sacrées de la Palestine, et qui, chargé d’années et de gloire, partit d’Espagne pour aller mourir dans la ville des prophètes.


II

Le mouvement littéraire que nous signalons serait bien incomplet toutefois, s’il se bornait à ces intéressans préludes. Nous avons vu les tendances nouvelles de la poésie se manifester depuis deux ans, ici par des traductions élaborées avec art, là par des imitations de récits épiques où apparaît plutôt la savante ardeur de l’écrivain que l’inspiration personnelle du poète ; maintenant, traductions et récits vont être le cadre où se déploieront de libres efforts. D’un côté, ce seront des poètes philosophes qui, n’osant pas produire, audacieusement toute leur pensée, la dissimuleront sous le masque d’un siècle, évanoui et d’une civilisation lointaine ; de l’autre, ce seront des artistes qui agrandiront avise amour ce domaine de l’épopée familière où brillent si gracieusement sur le seuil les chastes figures d’Hermann et de Dorothée.

On a beaucoup parlé dans ces derniers temps d’une traduction d’hafiz, par M. Daumer, et certes, quelle que soit ici la rare beauté de la forme, ce n’est pas une traduction toute seule qui eût obtenu tant de bravos et excité tant de colères. M. Daumer est un des plus curieux écrivains qui se soient produits depuis bien des années dans la littérature allemande. C’est un poète d’élite et un penseur extravagant. Son imagination est enthousiaste ; sa pensée est la proie des plus ténébreux systèmes. Après Uhland et Henri Heine, il n’est personne aujourd’hui qui manie l’idiome lyrique avec une si parfaite habileté ; après MM.Feuerbach et Stirner, il n’est pas de jeune hégélien qui ait jeté plus d’outrages à la religion du Christ. Comment expliquer ces contrastes ? L’explication est simple. M. Daumer est le représentant fidèle d’un