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naïf. On ne saurait adresser ce reproche au recueil de vieilles chansons anglaises et écossaises si soigneusement rassemblées, si ingénieusement reproduites par M. Wilhelm Doenniges. Voilà un livre charmant en même temps qu’une très sérieuse étude. Les ballades de M. Doenniges ne sont pas inédites ; elles se trouvent soit dans les recueils de Percy ou de Walter Scott, soit dans des mémoires d’érudition. Herder même et Burger en avaient traduit quelques-unes ; mais l’Allemagne n’en possédait pas encore un choix aussi complet et fait avec tant de soin. Toutes ces ballades historiques, le Prince Robert, la Bataille d’Otterborn, la Révolte dans le Nord, Northumberland trahi par Douglas, reflètent des émotions puissantes et de grandes luttes nationales. Le traducteur les oppose à ces chants populaires de l’Allemagne où ne vibrent jamais que des sentimens individuels. Il s’applique à reproduire le rhythme de l’original et ne redoute pas des inventions qui étonneront l’oreille, pourvu que la vigueur métallique du texte retentisse dans ses strophes. En un mot, ce n’est pas ici un traducteur ordinaire ; on sent un homme qui souhaite à son pays les émotions fécondes et la mâle poésie de la vie active. M. Doenniges a été à Berlin le précepteur et est resté l’ami du prince Maximilien, aujourd’hui roi de Bavière. Le goût des arts ne se perdra pas à Munich, et cette amitié, si honorable pour le poète, est une promesse pour la poésie. Un homme qui avait compromis par maintes incartades l’éclatant succès de ses débuts reprend aussi sa place dans les rangs de la poésie sérieuse. À côté des Ballades écossaises de M. Doenniges, on aime à rencontrer les traductions des sonettistes anglais des XVIe et XVIIe siècles par M. Freiligrath. M. Freiligrath est un maître en fait de style ; les curieux sonnets qu’il nous donne d’après Henry Howard (1516-1547), Philippe Sydney (1854-1576), Edmond Spencer (1553-1599), William Drummond (1587-1646), reproduisent avec art ce groupe de poètes que termine glorieusement le nom de Shakspeare. On comprend l’intérêt d’une période littéraire à laquelle appartiennent aussi les premiers vers de l’auteur de Macbeth ; ce qu’on trouve, ici toutefois, c’est plutôt un intérêt de curiosité qu’une valeur vraiment poétique, et on doit regretter que M. Freiligrath ne consacre pas la souplesse et l’éclat de son talent à la traduction de quelque monument remarquable. Je préfère à ce titre les derniers chants de Tegner, récemment traduits par M. Gottfried de Limbourg, et surtout les œuvres posthumes du célèbre poète russe Lermontoff, admirablement reproduites par un écrivain qui agrandit chaque jour sa place et que nous retrouverons tout à l’heure dans les rangs des chanteurs originaux. Le Petoefy de M. Hartmann, les Ballades écossaises de M. Doenniges, le Lermontoff de M. Bodenstedt, voilà les travaux les plus intéressans du groupe que je rassemble ici.

On voit que ce sont surtout les poètes du Nord, les poètes des familles germaniques et slaves, qui ont attiré l’attention et exercé l’adresse des écrivains. C’était le contraire, il y a un demi-siècle ; les romantiques d’il y a cinquante ans étaient principalement tournés vers l’Orient ou le Midi. Ce contraste ne me déplaît pas ; j’aime à voir les représentons des écoles nouvelles diriger surtout leurs investigations poétiques du côté où se déploie la vie de l’Europe. Ce ne sont pas seulement ici des études de style, appliquées aux œuvres du passé ; on sent circuler dans ces travaux une sève jeune et vivace qui produira ses fruits. Il ne faut pas croire pourtant que