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dieux païens, le noble fils de Maïa. À ce petit tricorne ne flotte pas le moindre plumet qui puisse rappeler les ailes de la divine coiffure, et dans ces souliers à boucles d’acier on ne trouve pas la moindre trace de sandales ailées. Ce plomb néerlandais diffère complètement du mobile vif-argent, auquel le dieu a donné son propre nom : mais le contraste même décèle l’intention du dieu rusé : il choisit ce masque pour être d’autant plus sûr de ne pas être reconnu. Et ce ne fut point au hasard, ni par caprice, qu’il fit choix de ce travestissement. Mercure était, comme vous savez, le dieu des voleurs et des marchands, et il exerçait ces deux industries avec succès. Il était donc tout naturel que, dans le choix du déguisement sous lequel il cherchait à se cacher et de l’état qui devait le faire vivre, il tînt compte de ses antécédens et de ses talens. Il n’avait qu’à calculer lequel de ces métiers, qui ne diffèrent que par des nuances, lui offrait le plus de chances de réussite. Il se disait que le vol, par des préjugés séculaires, était flétri dans l’opinion publique, que les philosophes n’avaient pas encore réussi à le réhabiliter en l’assimilant à la propriété, qu’il était mal vu de la police et des gendarmes, et que, pour prix de tout son déploiement de courage et d’habileté, le voleur était quelquefois envoyé aux galères, sinon à la potence ; qu’au contraire le négoce jouissait de la plus grande impunité, qu’il était honoré du public et protégé par les lois, que les négocians étaient décorés, qu’ils allaient à la cour, et qu’on en faisait même des présidens du conseil. Par conséquent, le plus rusé des dieux se décida pour l’état le plus lucratif et le moins dangereux, le commerce, et, pour être négociant par excellence, il se fit négociant hollandais. Nous le voyons donc, dans cette qualité, s’adonner à l’expédition des âmes pour l’empire de Pluton, et il était particulièrement apte à cette partie, lui, l’ancien Hermès Psychopompos.

L’Ile Blanche est aussi appelée quelquefois Bréa ou Britinia. Son nom ferait-il allusion à la blanche Albion, aux roches calcaires de la côte anglaise ? Ce serait vraiment une idée spleenique que de faire de l’Angleterre le pays des morts, l’empire de Pluton, l’enfer. Il est bien possible, en effet, que la Grande-Bretagne se présente sous cet aspect à plus d’un étranger.

Dans une étude sur la légende de Faust (1), j’ai parlé tout au long de l’empire de Pluton et des croyances populaires qui s’y rattachent : j’y ai montré comment le royaume des ombres est devenu un enfer complètement organisé, et comment on a tout à fait assimilé à Satan le vieux monarque des ténèbres ; mais ce n’est que le style officiel de l’église qui gratifie les anciennes divinités de noms si

(1) Voyez la livraison de la Revue du 15 février 1852.