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premier signal d’alarme, tous ceux qui ne pouvaient pas combattre étaient partis pour la montagne en emportant toutes leurs richesses, y compris la pièce de canon.

Notre coup était manqué, et, quels que fussent nos regrets, il n’y avait rien à faire. Nous n’étions pas en nombre pour enlever rapidement un village prêt à se défendre, et qui pouvait, d’un instant à l’autre, recevoir du secours. Il n’y avait donc plus qu’à nous retirer. En effet, le prince Bariatinski donna immédiatement l’ordre de commencer le mouvement de retraite. On tourna sur place. Le bataillon du colonel Lévitzki, qui jusqu’alors avait été en tête, dut ainsi former l’arrière-garde. Il pouvait être minuit et demi. Le temps était toujours superbe, et la lune se trouvait au milieu de sa course. J’étais arrivé sur le plateau avec l’avant-garde, et m’étant mis un peu de côté, vers l’ouest, je pus distinguer, à une petite distance de nous, des hommes qui, comme des ombres, se glissaient, entre les buissons. Les coups de feu ne se firent pas attendre, et les balles, passant au-dessus de ma tête en sifflant, allèrent se perdre dans la montagne voisine. Peu après, le mouvement de retraite se fit sentir jusqu’à l’extrême arrière-garde. Les Tchétchens se réunissaient sur le terrain que nous abandonnions, et ne cessaient pas de tirer sur les Russes, qui ne ripostaient pas. Nous avions gardé jusqu’alors notre incognito ; mais, lorsque les derniers soldats se furent engagés dans la descente, la trompette se fit entendre, et ses sons répétés aux deux bouts de la colonne, puis répercutés par les échos des montagnes, firent enfin savoir que c’étaient bien les Russes qui, à cette heure indue, se promenaient dans la vallée, et les soldats prouvèrent à l’ennemi, par une vive fusillade, que notre promenade n’était pas purement sentimentale. Ce fut là un beau moment dont je conserverai toujours l’impression. Il paraît toutefois que les Tchétchens n’étaient pas encore en grand nombre, car ils nous laissèrent sortir du bas-fond sans trop nous inquiéter.

À partir de ce moment, les coups de feu ne cessèrent plus. On les entendit alternativement à l’arrière et à l’avant, quelquefois même de tous les côtés à la fois, suivant les avantages du terrain ou le plus ou moins d’arbres que l’ennemi jugeait être à sa convenance pour tirer sur nous sans trop s’exposer. Notre course avait néanmoins perdu une grande partie de son intérêt. Il ne s’agissait plus maintenant que de nous retirer avec le moins de mal possible. Les choses allèrent assez bien jusqu’à la porte de Goëtimir. C’est là que les Tchétchens nous attendaient. La porte était fermée cette fois ; il fallut la démolir, et pendant ce temps nous pouvions distinguer parfaitement la voix des hommes qui couraient dans le bois. — Que disent-ils ? demandai-je à un soldat avec qui j’étais occupé à partager ma