Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/330

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Washington par message spécial du président, ce projet a été pris en considération et renvoyé à un comité qui n’a pas su lui donner une valeur pratique ; on doit néanmoins réclamer pour lui le mérite des dispositions libérales que contient le traité Clayton-Bulwer, et qui suffiront, il faut l’espérer, pour fournir bientôt les bases d’un arrangement amiable et digne de la civilisation du XIXe siècle, malgré toutes les peines que se donnait encore il y a quelques jours le général Cass pour en tirer un casus belli.

Les Américains n’avaient cependant pas attendu longtemps avant de chercher à parer le coup que l’on voulait leur porter. Aussitôt en effet qu’ils eurent signé avec le Mexique la paix de Guadalupe, et que l’acquisition de la Californie eut rendu pour eux plus pressante que jamais la nécessité de s’ouvrir des moyens de communication rapides avec le littoral de l’Océan Pacifique, ils comprirent ce que voulait dire l’occupation du port de Saint-Jean par les Anglais, et ils songèrent aux moyens d’en annuler les effets. Tandis que la presse tonnait, que les meetings dénonçaient en termes amers la violation qui venait d’être faite du fameux principe de M. Monroë, tandis que des sociétés se formaient pour l’exploitation de paquebots à vapeur sur Chagres et la Californie, pour l’ouverture de la route par Tehuantepec, pour la construction du chemin de fer de Panama, pour la création d’un canal navigable entre les deux océans, le gouvernement de son côté ne restait pas oisif. D’abord il envoyait à l’état de Nicaragua, c’est-à-dire au prétendant qui possède les droits les plus certains sur le port de Saint-Jean, un agent diplomatique chargé des instructions les plus pressantes à l’effet de conclure avec cet état un traité d’alliance très étroite, et d’obtenir, au profit de capitalistes des États-Unis, la concession du canal désiré. En même temps il sollicitait, près du ministre anglais à Washington, la négociation d’une convention « relative à l’établissement d’un canal maritime entre les deux océans » que l’Angleterre ne repoussait pas, parce qu’en retour on lui promettait la signature d’un traité par lequel, en régularisant la position du roi des Mosquitos, c’est-à-dire en abandonnant ses prétendus droits, desquels elle se souciait fort peu dans le fond, elle obtenait de faire désormais reconnaître par les États-Unis la neutralité du port et du territoire de Saint-Jean de Nicaragua, c’est-à-dire de prendre ses précautions pour que ce point important ne tombât jamais au pouvoir exclusif des Américains ; c’était dans la réalité tout ce qu’elle désirait. Toutes ces négociations ont abouti ; mais aussi il est résulté de ce triple succès une situation assez singulière.

Je sais des diplomates qui ont regardé comme une indiscrétion dangereuse la publication faite, après 1830, de la correspondance