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III

En portant ses regards plus loin vers le sud, le général Pierce rencontrera un autre aimant qui n’attire pas moins les imaginations américaines, bien que le but qu’elles y poursuivent soit moins prochain qu’au Mexique. Vers l’Amérique centrale, ce ne sont encore que de vagues aspirations qui les entraînent : mais du lointain même et de l’inconnu à travers lesquels on les sent venir à soi, elles prennent des proportions, elles ouvrent des perspectives qui séduisent un peuple aussi énergique et aussi ambitieux que le peuple des États-Unis. La conquête d’une partie du Mexique, c’est pour eux le complément nécessaire de leur territoire, c’est pour eux ce qu’est bien souvent une pauvre parcelle de terrain enclavée dans les cours ou les abords d’une grande habitation, et qu’il faut acquérir à tout prix. L’Amérique centrale, c’est, peut-être le point stratégique dont la possession peut décider la victoire dans la lutte qu’ils soutiennent contre l’Angleterre ; c’est peut-être la position qu’il faut occuper pour s’ouvrir la route à une fortune inouïe, et Dieu sait si les Américains du Nord sont décidés à faire fortune, à tenter tous les chemins qui peuvent y conduire ! Avec l’Amérique centrale pour point d’appui, ils espèrent produire dans le commerce du monde une révolution analogue à celle qui résulta au XVIe siècle de la découverte du passage aux Indes par le cap de Bonne-Espérance. La suprématie maritime de Venise y succomba, et ils ne seraient pas fâchés de soumettre à une pareille expérience la fortune de la Venise moderne :

In the fall
Of Venice think of thine, despite thy watery wall.

Cette entreprise, qui pendant longtemps n’a eu d’existence que dans les songes de quelques esprits prévoyans ou dans les combinaisons de certains spéculateurs aventureux, a pris aujourd’hui une forme positive. Les événemens qui se sont accomplis depuis cinq ans l’ont fait mûrir avec rapidité. La découverte de l’or dans la Californie et dans l’Australie, le développement du commerce américain en Chine, la construction du chemin de fer de Panama, en appelant sur son parcours les voyageurs et les dépêches qui ont à passer d’un océan dans l’autre. — tout a servi à prouver l’importance extraordinaire que prendrait dans les mêmes parages, et au bénéfice des États-Unis surtout, un canal capable de porter des bâtimens de mer de l’Océan Atlantique dans l’Océan Pacifique. Le commerce du monde y passerait, et le jour ne serait pas loin sans doute où, grâce