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spectacle de ruine et de discorde, la même décomposition hâtée partout par une Babel de pronunciamentos, par les factions qui divisent chaque ville et chaque village, par les aventuriers qui tiennent la campagne, par les voleurs qui interceptent toutes les routes.

La tentation est trop forte, les Américains du Nord viendront au Mexique, ne fût-ce que pour s’assurer la tranquille jouissance de la route qu’ils sollicitent depuis longtemps d’établir sur l’isthme de Tehuantepec, car elle faciliterait merveilleusement leurs communications avec la Californie. Aussi ont-ils eu bien soin de se faire à ce propos une querelle en règle avec le Mexique, querelle qu’il ne tient plus qu’à eux de convertir en un casus belli ; c’est du moins ainsi que l’envisageait le comité des relations étrangères dans une série de résolutions qu’il a proposées au sénat le 2 février dernier, et desquelles on aurait pu faire sortir tout ce que l’on aurait voulu, et la guerre plus aisément encore que la paix. Les résolutions qu’on proposait à l’acceptation du sénat étaient ainsi conçues :

« Il n’est pas de la dignité de ce gouvernement de poursuivre plus longtemps par voie des négociations l’affaire relative au droit appartenant à certains citoyens américains d’établir un passage à travers l’isthme de Tehuantepec. -Que si le gouvernement mexicain venait à proposer la reprise des négociations, on ne devrait accéder à cette offre que sur des propositions distinctes de la part du Mexique et compatibles avec les demandes faites par notre gouvernement relativement à la concession. — Le gouvernement des États-Unis est tenu envers ses citoyens de les protéger à l’étranger comme à l’intérieur dans les limites de sa juridiction, et si le Mexique ne revient pas dans un temps raisonnable à une plus mûre considération de la position qu’il a prise à l’égard de la concession dont il s’agit, ce sera le devoir du gouvernement de réviser toutes les relations qui existent entre lui et cette république, et d’adopter des mesures propres à sauvegarder l’honneur de la nation et les droits des citoyens. »

Aujourd’hui ce projet de résolutions n’a plus d’existence officielle, le sénat qui devait le voter ayant été dissous par l’avènement d’un président nouveau sans avoir rien décidé à cet égard : il en est de même de la proposition qui avait été faite de mettre dix millions de dollars à la disposition du général Pierce ; mais il ne faut pas oublier que le congrès devant lequel s’agitaient ces résolutions extrêmes avait été élu dans un temps où le parti whig avait la prépondérance et enlevait triomphalement l’élection du général Taylor, tandis qu’il va avoir pour successeur un congrès élu sous l’influence dominante du parti démocratique. Si la majorité modérée en était venue là, que va faire une majorité composée de démocrates dans l’une et dans l’autre chambre pour inaugurer sa prise de possession du pouvoir ?