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du général Franklin Pierce. Il ne se faut pas faire d’illusions à cet égard. Malgré toutes les garanties d’honneur et de probité que donnent le caractère personnel et les précédens du nouveau président, il reprendra sur de nouveaux frais l’œuvre incomplète de M. Polk ; il rouvrira, quoi qu’il en soit, cette carrière de conquêtes où il a déjà si glorieusement figuré lui-même, où son parti semble plus impatient que jamais de rentrer. Voulût-il résister, il ne le pourrait pas ; bon gré malgré, il suivra la destinée nécessaire de tous les chefs de parti démocratique ; ils sont menés et ne mènent rien eux-mêmes que le détail des affaires ; c’est la part d’action qui leur est laissée, et ils n’ont aucun empire sur les passions des masses et sur ce qu’on appelle, pour lui donner un nom honnête souvent, les tendances des peuples. On en a vu qui devenaient des tyrans, ce n’est même pas rare dans l’histoire, parce que la tyrannie, qui ne s’en prend qu’à l’intelligence, ou aux sommités sociales, ou à quelques individualités exceptionnelles, est indifférente aux multitudes, quand encore elle ne flatte pas leurs instincts ; mais on n’a jamais vu de chef de parti démocratique pouvoir gouverner autrement qu’en servant les désirs et les passions populaires.

Le général Pierce n’échappera pas à cette loi, et les soins qu’il semble prendre, pour réserver autant qu’il lui sera possible son indépendance et sa liberté d’action ne paraissent avoir encore eu d’autre résultat que d’irriter la patience des siens. Ils n’ont pas même attendu qu’il fût régulièrement installé pour compter avec lui. On eût dit qu’ils se défiaient à l’avance de sa modération et du calme de son humeur. Tandis que dans les états du sud naissaient connue à l’envi les projets et les entreprises les plus hardies, tandis que les journaux reprenaient de plus belle la discussion de ces questions brûlantes que le gouvernement de M. Fillmore cherchait à assoupir, les deux tribunes du congrès retentissaient des discours les plus véhémens et agitaient les résolutions les plus délicates. Au sénat, le général Cass, sous la forme d’un rappel aux principes du président Monroë, ne proposait, rien moins dans la pratique que d’affirmer le droit des États-Unis à la conquête de l’Amérique espagnole. À la chambre des représentans, on ne prenait vraiment pas tant de peine que de discuter des principes ou des doctrines, et l’on proposait tout uniment de mettre à la disposition du nouveau président 10 millions de dollars (53 millions de francs) comme entrée de jeu et pour commencer la partie. C’était assez clair sans doute.

Tout cela présage de grandes difficultés ; mais il est à croire, malgré les apparences, que le canon des Anglais et des Américains tonnant les uns contre les autres ne sera pas appelé à les résoudre. Nous aurons des meetings tumultueux, des séances orageuses dans