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ceux qui pensent qu’en jouant trop souvent avec le feu, on finira un jour ou l’autre par produire un incendie. Il y a plus même. Observée de près, l’attitude des deux puissances semblerait prouver depuis trente ans que de part et d’autre l’instinct national se prépare à la lutte que l’on prédit. L’une, démocratie ardente et avide, qui a l’impiété de croire comme toutes les démocraties que sa volonté et ses caprices mêmes sont supérieurs à tous les droits, ou mieux encore, qu’elle est elle-même la source et l’origine du droit, irrite et provoque incessamment sa rivale. L’autre, aristocratie prudente et sage, essaie d’effacer les souvenirs de ses anciens démêlés avec les peuples européens, de qui elle ne craint plus rien, pour tourner toute son activité, toutes ses ressources, au développement de cet empire et de ce commerce qu’elle a conquis ou fondé dans les autres parties du monde, et qu’un seul rival menace sérieusement, les États-Unis.

Si l’on examine sous cette double face, l’une de modération vis-à-vis des races européennes, l’autre d’entreprise et d’exploitation vis-à-vis des races barbares ou corrompues qui occupent le reste de l’univers, si l’on examine, disons-nous, sous cette double face - la conduite qu’a tenue l’Angleterre dans le monde depuis 1815, on reconnaîtra que sa politique générale à l’égard des peuples européens a été une politique de paix, d’équilibre, de conservation, et souvent même de concessions. Les grands événemens qui se sont accomplis depuis 1815, elle les a subis ou acceptés ; mais il serait difficile d’en signaler un seul qui ait été provoqué par elle. Malgré son vif attachement pour la liberté et pour le principe protestant, elle n’a jamais fait que des efforts très mesurés pour seconder ces deux intérêts, même en Espagne lorsque le gouvernement constitutionnel s’y est établi, même en Suisse lors de la querelle du Sonderbund, même en Grèce lorsqu’il a fallu y créer un état indépendant. L’Angleterre penche toujours du côté libéral, mais elle n’y tombe jamais ; les écoles qu’ont faites en ce sens tant de pays la préservent des entraînemens dangereux. D’un autre côté, elle s’est résignée à une foule de choses qui blessaient ses sympathies, ou qui auraient inspiré à une puissance moins calme et moins maîtresse d’elle-même des inquiétudes beaucoup plus vives que celles qu’a manifestées l’Angleterre. C’est ainsi qu’elle a accepté l’expédition d’Espagne de 1823, le traité d’Andrinople, les deux campagnes que la Russie a faites contre la Perse, la conquête de l’Algérie, la révolution de 1830, le démembrement du royaume des Pays-Bas, l’anéantissement de la Pologne, le traité d’Unkhiar-Skelessi, l’annexion de Cracovie à l’Autriche, la révolution de février, etc., sans opposer à tous ces faits autre chose que le silence ou des discours en parlement, et tout