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le pays où la moyenne de l’aisance individuelle est incontestablement le plus élevée ; comme développement commercial, elle égale déjà la France ; comme marine, elle le cède à peine encore à l’Angleterre elle-même ; comme importance territoriale enfin, elle est assise sur les deux océans, embrassant dans son sein des espaces immenses, enlevés par la violence à ses voisins plus faibles, comme le Texas et la Californie, conquis sur la solitude, comme la magnifique vallée du Mississipi, ou qui attendent encore, comme les prairies du far west, le travail de l’homme pour se convertir en terres fertiles, espérance de l’avenir qui permet d’envisager sans crainte, d’appeler au contraire avec une orgueilleuse confiance le jour où les États-Unis compteront plus de cent millions de citoyens. Il y aura place pour tous et pour d’autres encore. Jamais peuple n’a fait en aussi peu de temps de si grands pas.

Certes, si les choses humaines devaient suivre longtemps encore le cours qu’elles ont pris depuis 1789, si l’Angleterre et les États-Unis devaient pendant des années encore continuer à grandir comme ils l’ont fait non-seulement par le travail et par le développement légitime, de leur civilisation, mais aussi par de nouvelles conquêtes, fussent-elles faites loin de nous, alors la question serait jugée, et la prépondérance de la race anglo-saxonne, la mise hors de concours des peuples catholiques ou latins, deviendraient pour nous d’humiliantes réalités.

Tel est le problème qui est aujourd’hui posé dans la politique générale du monde. Je sais que beaucoup de grands esprits qui ont surtout la prétention d’être des esprits pratiques traiteront tout ceci de spéculation métaphysique ; mais je crois aussi que leur dédain n’est qu’une preuve d’ignorance et d’aveuglement. J’en appelle à tous ceux, — et le nombre en est malheureusement beaucoup trop restreint en France, — qui ont franchi les frontières de leur pays, qui ont pratiqué l’étranger, qui ont pu dépouiller le vieil homme et s’affranchir de ces préjugés ridicules, s’ils n’étaient dangereux, qu’enfante la vanité nationale, et qui atteignent toujours jusqu’à un certain point les gens même du plus grand mérite, lorsqu’ils n’ont jamais quitté l’ombre du clocher natal ; j’en appelle surtout à ceux qui ont parcouru le monde hors des mers de l’Europe, à ceux qui ont vu fonctionner jusqu’au bout de l’univers, et Dieu sait avec quelle puissance, ces deux pompes aspirantes de l’Angleterre et des États-Unis, à ceux enfin qui en tous lieux et sous tous les climats se sont sentis pris dans ce réseau d’intérêts que l’Angleterre et les États-Unis étendent, développent en tous pays, réseau à mailles si serrées que presque rien déjà n’en peut plus sortir qui ne subisse un contrôle, qui ne paie un tribut.