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n’a cependant pas cessé de travailler, d’augmenter ses richesses intérieures et de développer les ressources de son admirable territoire ; mais elle est toujours la mère féconde d’innombrables et vaillantes légions : énigme insoluble, objet d’inquiétudes pour le monde, où elle ne compte plus d’alliés certains, toujours redoutée cependant, car elle est encore puissante par l’influence des mœurs, des goûts et des idées, par les échos menaçans que ne manquent jamais de réveiller les éruptions périodiques de son volcan révolutionnaire.

Que vaut toutefois cette situation, qui a certainement sa grandeur, mais qui est pleine aussi de périls et d’inconnu, que vaut-elle, si on la compare à la position que les soixante dernières années ont faite à l’Angleterre ? Tandis que nous étions refoulés sur nous-mêmes par l’Europe coalisée, l’Angleterre s’emparait du commerce du monde, elle s’enrichissait de nos dépouilles et de celles de l’univers, prenant ceci à l’Espagne ou cela à la Hollande et quelque chose à chacun, ajoutant par la force des armes plus d’une centaine de millions d’hommes au nombre de ses sujets, annexant à son gigantesque empire, par la voie pacifique de la colonisation, des territoires aussi grands que l’Europe, comme la Nouvelle-Hollande par exemple, parvenant enfin à ce point suprême où tout lui a profité, la paix comme la guerre, où elle a pris un tel pied dans les intérêts de tous les peuples, que beaucoup d’états sont devenus ses vassaux, que tous doivent s’appliquer à vivre en bons rapports avec elle, qu’elle ne courtise l’alliance ou l’amitié de personne, et qu’elle est sûre cependant, dans la plupart des questions importantes, d’entraîner à sa suite presque tous les gouvernemens.

Le développement qu’a pris depuis soixante ans aussi la puissance des États-Unis d’Amérique n’est pas moins digne d’attention. Dans son ensemble, il ne représente pas une masse aussi imposante que celle de l’Angleterre ; il n’a pas reçu au même degré la consécration de la gloire militaire, ce cruel prestige qui exerce une séduction si enivrante sur l’imagination des peuples ; mais dans la réalité, si l’on tient compte des points de départ et d’arrivée, on ne sait si, toute proportion gardée, les progrès des États-Unis, ces autres représentans de la race anglo-saxonne, ne sont pas aussi extraordinaires que la fortune acquise à leur aînée. Il y a soixante ans, c’était une confédération de treize petits états à peine nés à l’indépendance, peuplés de quatre millions d’hommes tout au plus, resserrés encore dans l’étroite bande de terrain qui s’étend du rivage de l’Atlantique au pied des monts Alleghanys. Aujourd’hui, c’est sous tous les rapports une puissance de premier rang ; comme population, elle ne compte plus parmi les nations civilisées que quatre états qui puissent se vanter d’un chiffre supérieur au sien ; comme richesse, c’est