Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/299

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

français diffèrent à quelques égards et sous le rapport même de l’exécution des planches que nous venons de mentionner. On sait que les portraitistes du XVIe siècle avaient coutume, en dessinant aux trois crayons, de corriger par quelques légères teintes de pastel ce qu’un pareil mode de travail aurait laissé à leur ouvrage d’un peu uniforme et de monotone. Pour rendre l’apparence polychrome, de ses modèles, M. Riffaud devait donc vaincre des difficultés matérielles dont les graveurs des Dessins de la Collection du Louvre n’avaient eu nullement à se préoccuper. Les croquis que ceux-ci avaient devant les yeux, — croquis tracés à la plume, au crayon noir, à la sanguine ou tout au plus lavés au bistre, — n’exigeaient chacun que l’emploi d’un seul ton, d’une seule encre d’impression, pour être parfaitement imités, ici, au contraire, il fallait tenir compte des conditions variées du coloris et faire sentir les modifications consécutives d’une gamme de tons plus riche, bien que peu étendue, encore. En recourant à un ancien procédé, abandonné depuis la fin du dernier siècle, — procédé d’origine française, n’en déplaise aux graveurs anglais qui en font honneur à leur école, — M. Riffaud a trouvé moyen d’accomplir pleinement la tâche qui lui était imposée, et, à l’aide de la gravure sur plusieurs planches tirées en couleur, il a réussi à rendre avec une égale exactitude le coloris discret et le modelé en demi-relief des originaux. Il est à désirer que cette réhabilitation de la gravure en couleur s’achève parmi nous, et que l’exemple donné par M. Riffaud trouve des imitateurs, pourvu toutefois qu’on ait le bon goût de n’user d’un pareil procédé qu’en face de certains modèles, qu’on n’essaie pas d’en forcer les ressources, et qu’on ne retombe pas dans la même erreur que les graveurs du temps de Louis XVI, qui, sous prétexte de rivalité avec la peinture, prétendaient colorier jusqu’à la gravure de paysage, et n’arrivaient ainsi qu’à déshonorer leur art par de lourdes enluminures.

À quoi bon d’ailleurs souhaiter une extension nouvelle à un art qui n’a déjà pris que trop de développement, puisqu’il menace de se substituer à la gravure elle-même ? Ne faudrait-il pas plutôt former un souhait tout contraire ? sont-ce des vœux ou bien des craintes qu’il est à propos d’exprimer ? La gravure en fac-similé, quels que soient les modelés qu’elle reproduit et les formes qu’elle emprunte, a déjà assez de chances de succès parmi nous, parce qu’elle s’approprie trop bien à nos goûts actuels pour les vérités positives et l’autorité du fait. Peut-être ce mode de traduction ouvertement littérale convient-il seul à des gens qui font mine d’estimer de moins en moins, en matière d’art, les abstractions et l’idéal, à des esprits pressés qui veulent comprendre au premier coup d’œil. Ce n’est plus ce que l’artiste a senti à propos d’un objet, mais c’est l’objet lui-même que nous voulons voir maintenant dans toute œuvre d’art, tableau, morceau de sculpture ou estampe : ce qui nous touche, ce n’est plus la ressemblance poétisée par l’intermédiaire du talent, c’est l’identité absolue de la copie avec le modèle physique. Contrairement au génie essentiel et au passé de l’art français, nous tendons à sacrifier en toutes choses la forme vraie à la forme réelle, les travaux de l’intelligence aux travaux d’un ordre purement matériel. La gravure en fac-simile satisfait nos instincts actuels et nous suffit, quoiqu’elle soit ou parce qu’elle est un procédé presque mécanique. Je me trompe : il nous faut aujourd’hui