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voir ces estampes défectueuses, si propres pourtant à accuser les vices de la méthode, le public a pris le change sur les vrais élémens de la gravure, sur la valeur relative des divers procèdes, et l’on a fini par confondre si bien ces procédés entre eux, qu’assez peu de gens peut-être savent distinguer encore une planche gravée en taille-douce d’une planche gravée à l’aqua-tinte. Que les lignes principales et l’aspect premier d’un tableau soient à peu prés rendus, n’importe par quel moyen de gravure, cela suffit au plus grand nombre. On n’examine, guère ni les détails de l’œuvre, ni le genre d’habileté ou d’imperfections qu’elle comporte ; seulement, l’aqua-tinte étant le moyen usité d’ordinaire, on l’accepte par habitude, et l’on réduit sans y songer aux conditions actuelles de cet art subalterne les principes de l’art lui-même et les proportions du talent.

Dans cette multitude de planches gravées à l’aqua-tinte qui se succèdent presque de semaine en semaine aux vitres des magasins d’estampes, il en est cependant quelques-unes où se révèlent des qualités d’artiste. La Mort du duc de Guise, gravée par M. Desclaux d’après M. Delaroche, appartient à cette classe d’œuvres dignes d’une attention particulière, et ressort plus qu’aucune d’elles au milieu de tant d’œuvres improvisées pour les circonstances ou pour les besoins du commerce. L’estampe de M. Desclaux porte les traces d’un travail consciencieux, de l’effort et d’une habileté en harmonie avec les ressources combinées de l’aqua-tinte, du burin et de la manière noire ; mais de par ces procédés devaient-ils être choisis pour nous rendre la scène si finement sentie et exprimée par le peintre, et n’était-ce pas le cas ou jamais de recourir uniquement à la précision, à la délicatesse du burin ? Tout le monde, connaît ce tableau, l’un des plus accomplis, sinon même le plus accompli qu’ait produit M. Delaroche. Dernièrement encore, et rajeuni par un nouveau succès, il frappait les yeux les moins clairvoyans par l’extrême netteté de la pensée, la finesse du style et cette correction savante sans pédantisme, scrupuleuse sans minutie, dont bien peu d’artistes ont le privilège et le secret. Le mode de gravure une fois adopté, M. Desclaux a lutté de son mieux contre les difficultés de l’entreprise ; mais quoiqu’il ait su faire, l’esprit même et le vif de la peinture originale ne se retrouvent pas dans cette traduction forcément un peu lourde et traînante ; elle n’a et ne pouvait avoir qu’une analogie lointaine avec le tableau de M. Delaroche. et s’il fallait prouver par un exemple l’insuffisance des précédés de l’aqua-tinte ou de la manière noire, quand on les applique même avec talent à la gravure d’une œuvre délicate, ce serait la Mort du duc de Guise qu’il conviendrait peut-être d’indiquer. Que dire à plus forte raison de tant de planches où l’erreur n’a pas du moins le talent pour complice, où le métier se substitue ouvertement à la science et à l’étude ? C’est à côté des mille objets sortis de nos fabriques qu’il faut reléguer ces prétendus objets d’art, ces produits d’un mode de travail avant tout expéditif. Le mieux est d’envelopper dans un même oubli des œuvres dont la forme et le style sont invariablement les mêmes, soit qu’elles retracent des scènes bibliques ou des faits d’armes contemporains, soit qu’elles rappellent des événemens de l’histoire ou quelque chose des inspirations honteuses de Gentil-Bernard et de Parny.

Tandis que la plupart des graveurs à l’aqua-tinte méconnaissent les limites