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graveurs ; comme tous les nouveaux convertis, ceux-ci tiennent à honneur de proclamer leur foi avec un zèle voisin de l’intolérance, et rejettent comme des erreurs absolues tout ce qui ne se rattache pas directement à leurs croyances. Enfin, si l’on jette les yeux sur les estampes d’après Raphaël récemment gravées en Allemagne, on reconnaîtra aisément que ce n’est pas de l’autre côté du Rhin que se trouvent aujourd’hui les plus fidèles interprétés du peintre des Vierges. Le temps est loin déjà où Müller et les graveurs allemands ne songeaient, pour traduire Raphaël, à s’inspirer que de Raphaël lui-même. L’influence des peintres contemporains s’exerce sensiblement jusque sur les travaux entrepris d’après les tableaux de l’école italienne, et c’est en se préoccupant du style de M. Overbeck ou du style de M. Cornélius que les graveurs cherchent à idéaliser des œuvres qu’il suffirait sans doute de copier. De là cette apparence monotone et ce caractère systématique que revêtent les estampes allemandes, quels que soient les modèles d’après lesquels elles ont été exécutées.

En France, on n’a heureusement ni une déférence si entière pour les exemples des peintres contemporains, ni les goûts purement rétrospectifs dont s’honorent aujourd’hui quelques artistes italiens. Les inclinations essentiellement éclectiques de notre école se prêtent à merveille aux travaux qui nécessitent la perception exacte d’idées diversement exprimées, une grande souplesse d’intelligence, et, jusqu’à un certain point, l’abnégation du sentiment personnel. Voilà pourquoi la gravure a été et est encore pratiquée dans notre école avec plus de succès que partout ailleurs, et, pour ce qui est de Raphaël, peut-être nos graveurs ont-ils mieux réussi à le comprendre qu’aucun maître des écoles étrangères, par cela même que son harmonieux génie résume dans une mesure égale les qualités de toute espèce et les caractères les plus opposés. Il est certain du moins que, dans la série des belles planches gravées d’après Raphaël à partir du XVIIe siècle, on en comptera peu qui ne soient l’œuvre d’artistes français. Depuis Edelinck, que son origine flamande ne saurait exclure du nombre des graveurs appartenant à notre école, ou, si l’on veut, depuis Gérard Audran jusqu’à M. Desnoyers, il n’est guère de talent éminent qui ne se soit appliqué à perpétuer parmi nous ces témoignages d’une sagacité particulière et ces traditions de succès. La suite d’estampes que l’on publie sous le titre des Vierges de Raphaël ne mérite pas, à coup sûr, d’être assimilée à tant d’ouvrages justement célèbres ; mais ces planches sont dignes encore d’attention et d’estime, surtout lorsqu’on les rapproche, des planches gravées à l’étranger d’après les mêmes modèles et dans des circonstances à peu près semblables.

Les diverses estampes dont nous avons fait mention jusqu’ici peuvent donner la mesure du talent de nos graveurs appliqué à la reproduction des œuvres de l’art ancien. Les œuvres de l’art moderne rencontrent-elles aujourd’hui des interprètes aussi habiles ? C’est ce qui reste à examiner. Constatons d’abord que le nombre des planches gravées en taille-douce d’après les tableaux de l’école contemporaine devient de moins en moins considérable, et qu’à l’exception de deux estampes dues au burin de MM. Blanchard et François, rien ou presque, rien en ce genre n’a paru depuis le Pic de la Mirandole et le Napoléon à Fontainebleau, ouvrages estimables déjà signalés dans cette