Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/282

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le caractère de certaines œuvres de l’art se révèle encore aujourd’hui ; seulement, à aucune époque la réaction n’a paru moins prochaine ni la séparation plus radicale. Il ne s’agit plus en effet de froideur momentanée pour un ordre particulier de talens, de prédilection passagère pour telle ou telle nature de sujets. La gravure elle-même, — du moins la gravure au burin, — son opportunité dans le présent, sa signification et sa vie dans l’avenir, voilà ce qui est mis en question, voilà ce que l’on est bien près de condamner comme une entrave au développement des tendances nouvelles et comme une négation du progrès.

Quelques graveurs en taille-douce, continuent les saines traditions de l’école française et redoublent d’efforts pour lui conserver sa vieille prééminence : nous les regardons faire, non pas même avec la curiosité de gens intéressés par point d’honneur national au succès de l’entreprise, mais avec un sentiment de surprise dédaigneuse et de muette désapprobation. Il semble que l’on doive voir dans ces efforts plus d’obstination que de vrai courage, dans ces témoignages d’habileté l’indice de croyances en retard sur la marche des idées modernes, et nous accueillons les œuvres où se reflètent ces doctrines et cet art d’un autre âge à peu près comme nous accueillerions au théâtre des pièces conformes avant tout à la poétique des tragiques du XVIIIe siècle et à la règle des trois unités.

En retraçant ici même l’histoire des phases diverses que la gravure a successivement traversées[1], nous avons eu occasion déjà d’indiquer l’état actuel de notre école et d’accuser l’indifférence où nous laisse, tant de persévérance et de talent. Certes, rien aujourd’hui n’autoriserait une rétractation à ce propos, et l’on aurait le droit de se plaindre plus vivement encore d’une injustice qui se généralise et qui grandit d’année en année. Ce qu’il était permis d’entrevoir et de pressentir comme un danger possible est devenu un danger manifeste ; jamais conditions aussi défavorables n’ont été faites à la gravure, jamais elle n’a obtenu parmi nous moins d’encouragemens ni de crédit, et tandis qu’une sympathie croissante s’attache aux improvisations de la pensée, aux gentillesses du pinceau et du crayon, on n’a pour les sévères travaux du burin que de l’éloignement et de l’oubli. Dans le monde, dans la presse même, qui s’occupe, de cet art en apparence suranné ? nul songe à rendre hommage au zèle des hommes qui le pratiquent encore, à discuter leur mérite, ne fût-ce que pour blâmer le système où ils s’opiniâtrent ? On se contente de réprouver le tout implicitement, quitte à ignorer à la fois la valeur intrinsèque des œuvres, l’habileté relative des artistes qui les ont produites, et jusqu’aux noms dont elles sont signées. À l’exception de M. Henriquel-Dupont, talent hors ligne qui s’est en quelque sorte imposé à l’estime de tous, y a-t-il de notre temps un seul graveur français dont le nom ait acquis une véritable popularité, un seul dont la réputation dépasse, égale même celle du moindre dessinateur de caricatures ? Et cependant, malgré les obstacles de tout genre suscités depuis quelques années au développement de la gravure, notre école est en voie de progrès et se maintient comme autrefois au premier rang. Le nombre et le caractère de ses travaux attestent sa

  1. Livraisons de la Revue des 1er et 15 décembre 1850, du 1er janvier 1851.