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30 francs. On en était là quand est survenu un fléau qui a menacé dans son existence même un des principaux élémens de l’alimentation nationale : je veux parler de la maladie des pommes de terre. Ce fléau, qui a produit en Irlande une véritable famine, a eu, même en Angleterre, des effets désastreux, et il a été bientôt suivi de craintes sérieuses sur la récolte des céréales, craintes qui n’ont été que trop justifiées par les mauvaises récoltes de 1845 et 1846.

D’autres raisons appelaient encore sur le prix des subsistances l’attention des esprits prévoyans. Tout l’échafaudage de la richesse et de la puissance britannique repose sur l’exportation des produits industriels. Jusqu’à ces derniers temps, l’industrie anglaise avait peu de rivaux : mais peu à peu les manufactures ont fait des progrès chez les autres peuples, et les produits anglais ne sont plus les seuls à abonder sur les marchés de l’Europe et de l’Amérique. Les marchands anglais ne peuvent donc soutenir la concurrence universelle que par le bon marché, et ce bon marché n’est lui-même possible qu’autant que les salaires des ouvriers ne sont pas trop élevés. Or les ouvriers anglais, bien que les mieux payés du monde, ne sont pas ou du moins n’étaient pas, il y a cinq ans, satisfaits de leurs salaires. Le vent qui a souillé en 1848 et 1849 sur le continent avait commencé à se faire sentir en Angleterre, et de sourdes rumeurs annonçaient l’approche des orages.

Voici donc comment se présentait le problème à résoudre, problème terrible qui portait dans ses flancs la vie et la mort d’un grand nombre d’hommes, et peut-être aussi la vie et la mort d’un grand empire : d’une part, la disette ravageant déjà une partie du territoire britannique et menaçant de s’étendre sur le reste, et en conséquence le prix des denrées alimentaires menaçant de hausser indéfiniment ; de l’autre, la nécessité de maintenir les salaires, malgré l’élévation probable du prix des subsistances, à un taux qui permit et facilitât l’exportation des produits manufacturés, et, pour compléter la difficulté, une aspiration ardente des classes laborieuses vers une augmentation de bien-être au moment même où les vivres allaient peut-être leur manquer et où la mortalité causée par la famine commençait en Irlande. C’est alors que l’homme éminent chargé du gouvernail dans ces temps difficiles prit tout à coup la résolution hardie et généreuse qui a tout sauvé. Jusque-là, la législation anglaise sur les grains avait été calculée de manière à maintenir autant que possible le prix du blé à 25 francs l’hectolitre au moyen du système ingénieux, mais compliqué et plus efficace en apparence qu’en réalité, de l’échelle mobile. Sir Robert Peel comprit, après bien des hésitations et des recherches, que le moment était venu d’adopter une mesure plus grande et plus radicale ; il se décida donc à supprimer