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d’autres conséquences du même principe. La suppression du seigle est tout simplement impossible dans les cantons français les plus éloignés des marchés. Avant tout, la subsistance du métayer. Il faut être près d’un marché pour faire autre chose, même quand la terre se prête le moins aux céréales et le plus à d’autres cultures, car il faut pouvoir vendre le nouveau produit et acheter du blé. Le remplacement du seigle par le froment présente les mêmes difficultés. Cette substitution exige des avances pour chantages et autres frais. À quoi bon les faire si le froment n’est que peu ou point demandé ? Partout où la demande de froment s’accroît, c’est-à-dire où se trouve une population qui peut payer son pain assez cher, la transformation s’opère, même en France. Elle s’est opérée partout en Angleterre, parce que les ouvriers des manufactures gagnent tous assez pour avoir du pain blanc.

L’emploi des chevaux au lieu de bœufs pour le travail, l’usage des machines pour économiser des bras, tout vient de là. Le grand principe économique de la division du travail est mis en pratique sous toutes les formes. Le cultivateur sans débouchés s’applique surtout à ne pas dépenser d’argent, parce qu’il n’a aucun moyen de s’en procurer ; le cultivateur qui est sûr de bien vendre ne recule pas devant les dépenses utiles.

Ce qui arrive pour l’organisation de la culture arrive aussi pour l’état de la propriété. La petite propriété, là où elle n’est point avantageuse, a pour cause principale l’absence de débouchés. Le petit capitaliste n’a aucun intérêt à devenir fermier, quand le profit est faible et incertain. Lui aussi se préoccupe avant tout de se nourrir sans bourse délier, et quel meilleur moyen d’assurer sa subsistance, quand les échanges n’offrent aucune ressource, que de placer son petit avoir dans un morceau de terre qu’on travaille soi-même ? Il en a été ainsi en Angleterre tant que les grands débouchés n’ont pas été ouverts. Les yeomen n’ont trouvé leur bénéfice à devenir fermiers que quand le mouvement industriel s’est prononcé. Arthur Young a été le théoricien de cette révolution, il n’en a pas été le véritable promoteur. C’est encore Watt et Arkwright qui l’ont faite.

Les mêmes causes qui font monter le profil font monter la rente. Nous avons vu la rente naître en quelque sorte en France, sous Louis XVI, quand le commerce des denrées agricoles est devenu libre ; nous l’avons vue s’élever progressivement de 30 sols l’hectare à 30 francs, à mesure que la richesse industrielle et commerciale a fait des progrès ; nous la voyons aujourd’hui atteindre 100 francs et au-delà dans les départemens où la population non agricole abonde, et tomber à 10 dans ceux où elle manque. Si nous avions partout les mêmes débouchés qu’en Angleterre, nul doute que la rente moyenne ne devînt