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général le taux de la rente et du salaire agricole est un signe certain du degré de développement industriel local.

Il y a mieux. On croit assez généralement que le paupérisme se développe dans les cantons manufacturiers plutôt que dans les autres. C’est une erreur complète. Il résulte d’un tableau publié par M. Caird, dans ses excellentes lettres sur l’agriculture anglaise, que dans le West-Riding, les comtés de Lancastre, de Chester, de Stafford et de Warwick, la taxe des pauvres est d’environ 1 shilling par livre ou de 3 à 4 shillings par tête, et le nombre des pauvres de 3 à 4 pour 100 de la population totale, tandis que dans les comtés agricoles de Norfolk, Suffolk, Burks, Bedford, Berks, Sussex, Hants. Wilts, Dorset, etc., elle dépasse 2 shillings par livre ou 10 shillings par tête, et que le nombre des pauvres est de 13, 14, 15 et même 15 pour 100 de la population. La cause de cette différence se comprend aisément ; le nombre des pauvres est d’autant plus grand el la taxe des pauvres d’autant plus forte que le taux moyen des salaires est plus bas. Bien que la population ouvrière soit trois ou quatre fois plus pressée dans les districts manufacturiers que dans les autres, sa condition y est meilleure parce qu’elle produit davantage.

Ce qui nous a frappés jusqu’ici comme une série de problèmes se trouve maintenant, si je ne me trompe, parfaitement expliqué.

L’organisation de la culture d’abord. Ce qui caractérise, on le sait, l’économie rurale anglaise, c’est moins la grande culture proprement dite que l’érection de la culture en industrie spéciale et la quantité de capital dont disposent les cultivateurs de profession. Ces deux caractères sont dus l’un et l’autre à l’immense débouché de la population non agricole.

Si nous nous transportons en France, dans les départemens les plus arriérés du centre et du midi où règne le métayage, qu’y trouvons-nous ? Une population clair-semée, égale tout au plus en moyenne au tiers de la population anglaise, une tête humaine seulement au lieu de trois pour deux hectares, et cette population est agricole à peu près exclusivement ; peu ou point de grandes villes, peu ou point d’industrie, le commerce strictement nécessaire pour suffire aux besoins bornés des habitans ; les centres de consommation sont éloignés, les moyens de communication coûteux et difficiles, les frais de transport absorberaient la valeur entière des produits. Le cultivateur ne peut trouver rien ou presque rien à vendre. Pourquoi travaille-t-il ? Pour se nourrir lui et son maître avec ses produits. Le maître partage avec lui en nature et consomme sa part : si c’est du froment et du vin, maître et métayer mangent du froment et boivent du vin ; si c’est du seigle, du sarrasin, des pommes de terre, maître et métayer mangent du seigle, des pommes de terre et du sarrasin.