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par jour ; la moyenne de leurs salaires peut être évaluée à 3 fr. Où vont les 2 ou 3 milliards de salaires que reçoit tous les ans cette masse de travailleurs ? Ils servent avant tout à payer le pain, la viande, la bière, le lait, le beurre, le fromage, que fournit directement l’agriculture, et les vêtemens de laine et de chanvre qu’elle fournit indirectement. De là une demande constante de produits que l’agriculture a peine à satisfaire, de là pour elle une source en quelque sorte indéfinie de bénéfices. La puissance de ces débouchés se fait sentir sur tous les points du territoire ; quand ce n’est pas une ville manufacturière que le cultivateur a près de lui pour écouler ses produits, c’est un port, et quand il n’est près ni de l’un ni de l’autre de ces marchés, il est mis en rapport avec eux par un canal ou une ligne de chemin de fer, souvent même par plusieurs à la fois. Ces voies perfectionnées ne servent pas seulement à emporter rapidement et à bon marché ce que vend le cultivateur, elles lui apportent aussi aux mêmes conditions ce dont il a besoin. De ce nombre sont les engrais et amendemens, comme le guano, les os, les chiffons, la chaux, le plâtre, la suie, les tourteaux, etc., toutes marchandises lourdes, encombrantes, qui ne peuvent circuler aisément qu’avec de pareils moyens, et dont l’abondance suppose un développement industriel très actif. De ce nombre aussi sont le fer et le charbon, dont l’agriculture se sert tous les jours de plus en plus, et qui représentent en quelque sorte l’industrie elle-même. Quelque chose de plus productif encore que le charbon, le fer et les matières animales ou minérales, l’esprit de spéculation, voyage avec eux, des centres industriels où il est né, dans les campagnes, où il trouve de nouveaux alimens, et il y entraîne à sa suite les capitaux, échange fécond qui enrichit l’industrie par l’agriculture et l’agriculture par l’industrie.

Malgré l’extrême facilité des transports par les bateaux à vapeur et les chemins de fer, une différence sensible existe encore, pour le produit brut et le produit net agricoles, entre les comtés qui sont agricoles exclusivement et ceux qui sont en même temps manufacturiers. La région manufacturière par excellence, qui commence au sud par le comté de Warwick et finit au nord par le West-Riding du comté d’York, est celle où les rentes, les profits et les salaires ruraux sont les plus élevés. La moyenne des rentes y est de 30 shillings par acre ou de 90 francs l’hectare, et celle des salaires ruraux de 12 shillings ou 15 francs par semaine, tandis que, dans la région exclusivement agricole qui s’étend au sud de Londres, la moyenne des rentes n’est que de 20 shillings par acre ou 60 francs par hectare, et celle des salaires de 8 shillings ou 10 francs par semaine. Les comtés intermédiaires se rapprochent plus ou moins de ces deux extrêmes, suivant qu’ils sont plus ou moins manufacturiers, et en