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plus puissans agens de production qui existent : des débouchés et des capitaux.

Dès le règne de la reine Anne, l’Angleterre prend visiblement le pas sur la France pour l’industrie et le commerce, c’est-à-dire pour tout, car ce progrès suppose et renferme tous les autres. Après la guerre d’Amérique, quand la nation affligée d’avoir perdu sa principale colonie se replie sur elle-même pour chercher dans son propre sein des dédommagemens, son essor devient tout à fait sans rival ; alors parait Adam Smith, qui scrute dans un livre immortel les causes de la richesse et de la grandeur des nations ; alors paraissent les grands inventeurs, comme Arkwright et Watt, qui semblent les instrumens d’Adam Smith pour réaliser ses théories dans la pratique industrielle ; alors parait William Pitt, qui porte le même esprit dans l’administration des affaires publiques ; alors enfin paraissent Arthur Young et Bakewell, qui ne font à leur tour qu’appliquer à l’agriculture les idées nouvelles.

Le système d’Arthur Young est fort simple ; il se résume dans un seul mot dont Adam Smith venait de fixer le sens, le marché. Jusque-là, les cultivateurs anglais avaient, comme tous ceux du continent, peu travaillé en vue du marché. La plupart des denrées agricoles se consommaient sur place par les producteurs eux-mêmes, et quoiqu’il s’en vendit plus en Angleterre qu’ailleurs, ce n’était pas l’idée des débouchés qui dominait la production. Arthur Young est le premier qui ait fait comprendre aux agriculteurs anglais l’importance naissante du marché, c’est-à-dire de la vente des denrées agricoles à une population qui ne contribue pas à les produire. Cette population non agricole, peu considérable jusqu’alors, commençait à se développer, et depuis, sa multiplication a été immense, grâce à l’expansion de l’industrie et du commerce.

Tout le monde sait quels progrès énormes l’emploi de la vapeur comme moteur a fait faire depuis cinquante ans à l’industrie et au commerce britanniques. Le siège principal de cette activité prodigieuse est dans le nord-ouest de l’Angleterre, le comté de Lancastre et son voisin le West-Riding du comté d’York ; c’est là que Manchester met en œuvre le coton, Leeds la laine, Shellield le fer, et que le port de Liverpool alimente, par un courant continu d’exportations et d’importations, une production infatigable ; c’est là que se fouille sans relâche ce monde souterrain que les Anglais ont si justement nommé leurs Indes noires, cet immense réservoir de charbon qui couvre de ses ramifications plusieurs comtés et vomit de toutes parts d’inépuisables trésors. On estime à 40 millions de tonnes, valant, à 10 shillings la tonne, 500 millions de francs, l’extraction annuelle du charbon, ce qui fait supposer une production industrielle gigantesque,