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« C’est ce que jamais prêtre ne doit faire, — plonger un homme dans la désolation ; quand il veut se repentir et faire pénitence, ses péchés doivent lui être pardonnés. »


Comme cela est magnifique ! Déjà au début du poème nous trouvons un effet merveilleux. Le poète nous donne la réponse de la dame Vénus, sans avoir rapporté auparavant la demande du Tannhaeuser, laquelle provoque cette réponse. Par cette ellipse, notre imagination gagne un champ plus libre et nous suggère tout ce que Tannhaeuser aurait pu dire, et ce qui était peut-être très difficile à résumer en quelques mots. Malgré sa candeur et sa piété du moyen âge, l’ancien poète a su peindre les séductions fatales et les allures dévergondées de la dame Vénus. Un auteur moderne et perverti n’aurait pas mieux dessiné la physionomie de cette femme-démon, de cette diablesse de femme qui, avec toute sa morgue olympienne et la magnificence de sa passion, n’en trahit pas moins la femme galante ; c’est une courtisane céleste et parfumée d’ambroisie, c’est une divinité aux camélias, et pour ainsi dire une déesse entretenue. Si je fouille dans mes souvenirs, je dois l’avoir rencontrée un jour en passant par la place Bréda, qu’elle traversait d’un pas délicieusement leste ; elle portait une petite capote grise d’une simplicité raffinée, et elle était enveloppée du menton jusqu’aux talons dans un magnifique châle des Indes, dont la pointe frisait le pavé. — Donnez-moi la définition de cette femme, dis-je à M. de Balzac, qui m’accompagnait. — C’est une femme entretenue, répondit le romancier. Moi j’étais plutôt d’avis que c’était une duchesse. D’après les renseignemens d’un commun ami qui arriva, nous reconnûmes que nous avions raison tous les deux.

Aussi bien que le caractère de la dame Vénus, le vieux poète a su rendre celui du Tannhaeuser, de ce bon chevalier qui est le chevalier Des Grieux du moyen âge. Quel beau trait est-ce encore quand, dans le milieu du poème, Tannhaeuser tout à coup commence à parler au public en son propre nom, et qu’il nous raconte ce que plutôt le poète devrait raconter, c’est-à-dire comme il parcourt le monde en désespéré ! Cela a pour nous l’air de la gaucherie d’un poète inculte, mais de pareils accens produisent dans leur naïveté des effets merveilleux.

Le poème du Tannhaeuser a été écrit, selon toute apparence, peu de temps avant la réformation ; la légende qui en fait le sujet ne remonte pas beaucoup plus haut, et ne lui est peut-être antérieure que d’un siècle à peine. Ainsi la dame Vénus n’apparaît que très tard dans les traditions populaires de l’Allemagne, tandis que d’autres divinités, par exemple Diane, sont connues dès le commencement du moyen âge. Au VIe et au VIIe siècle, Diane figure déjà comme un