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furent d’abord exilés. Ils rentrèrent quelque temps après, et Guiton servit dans la marine royale avec le titre de capitaine. Il mourut à La Rochelle, âgé de soixante-neuf ans, et fut enterré prés du canal de La Verdière, là même où s’élevaient ces remparts qu’il défendit avec tant de constance, en face de ce Fort-Louis, cause ou prétexte des guerres où il s’illustra, en vue de cette digue qui décida la ruine de sa patrie[1].

À l’exception de Colin et des quelques compilateurs qui ont aveuglément copié ses dires[2], tous les écrivains sont unanimes dans leurs appréciations de Guiton. Catholiques ou protestans, prêtres ou laïques, tous rendent hommage à la grandeur de son caractère, à la générosité de son cœur[3]. Aussi son nom est-il resté populaire à La Rochelle, où l’on montre encore la table de marbre que Guiton frappa de son poignard en prêtant le serment de résister ; aussi voulut-on, en 1841, lui élever une statue ; mais le gouvernement d’alors refusa de ratifier ce vote du conseil municipal rochelais.

Il est bien difficile d’expliquer ce refus. Craignit-on d’avoir l’air de sanctionner une révolte ? Ce motif serait mal fondé. Guiton et ses concitoyens n’étaient rien moins que des rebelles. Ils ne demandaient autre chose que l’exécution d’un contrat ratifié par une longue suite de rois, sanctionné par l’autorité des siècles, et que pour leur part ils avaient toujours fidèlement observé. Le manifeste publié avant le siège fut l’expression noble et parfois touchante de leurs sentimens[4]. Ils adjuraient tous les souverains, princes ou républiques alliés de la couronne de France ; ils rappelaient que les premiers ils avaient secoué le joug de l’Angleterre « pour ne pas être comme étrangers dans le sein de leur patrie ; » mais leur ravir leurs libertés, c’était, disaient-ils, « les forcer avec violence dans le sein de l’Anglais. » Dans les plus dures extrémités, les actes de la commune rochelaise furent toujours d’accord avec son langage. Loin de se donner à l’Angleterre, elle rejeta toute idée d’annexion, et traita de puissance à puissance, se réservant tous les droits de souveraineté et s’engageant seulement à ne jamais faire une paix séparée. Pendant le

  1. Jean Guiton, par P.-S. Callot.
  2. Pour juger de la croyance que mérite cet auteur, il suffit de rappeler qu’il traite Guiton de lâche.
  3. Pendant le siège, des fanatiques offrirent à diverses reprises d’assassiner Richelieu. Guiton repoussa ces offres avec indignation, et fit consacrer ses refus par la parole du ministre Salbert. « Ce n’est vas une telle voie, disait-il, que Dieu veut prendre pour notre délivrance ; elle est trop odieuse. »
  4. Histoire de La Rochelle, par Arcère.