« Je me suis échappé de la montagne ; mais les regards de la belle dame me poursuivent partout ; ils me disent : Reviens, reviens !
« Le jour, je suis semblable à un pauvre, spectre ; la nuit, ma vie se réveille. Mon rêve me ramène auprès de ma belle dame ; elle est assise près de moi, et elle rit.
« Elle rit, si beureuse et si folle, et avec des dents si blanches ! Oh ! quand je songe à ce rire, mes larmes coulent aussitôt.
« Je l’aime d’un amour sans bornes. Il n’est pas de frein à cet amour ; c’est comme la chute d’un torrent dont on ne peut arrêter les flots.
« Il tombe de roche en roche, mugissant et écumant, et il se romprait mille fois le cou plutôt que de ralentir sa course.
« Si je possédais le ciel entier, je le donnerais à ma dame Vénus ; je lui donnerais le soleil, je lui donnerais la lune, je lui donnerais toutes les étoiles.
« Mon amour me consume, et ses flammes sont effrénées. Seraient-ce là déjà le feu de l’enfer et les peines brûlantes des damnés ?
« O saint-père, pape Urbain, toi qui peux lier et délier, soustrais-moi aux tourmens de l’enfer et au pouvoir de l’esprit malin ! »
« Le pape lève les mains au ciel et dit en soupirant : — Infortuné Tannhäuser, le charme dont tu es possédé ne peut être rompu.
« Le diable qui a nom Vénus est le pire de tous les diables, el je ne pourrai jamais t’arracher à ses griffes séduisantes.
« C’est avec ton âme qu’il faut racheter maintenant les plaisirs de la chair. Tu es réprouvé désormais et condamné aux tourmens éternels. »
« Le noble, chevalier Tannhäuser marche vite, si vite qu’il en a les pieds écorchés, et il rentre à la montagne de Vénus vers minuit.
« Dame Vénus se réveille en sursaut, sort promptement de sa couche, et bientôt enlace dans ses bras son bien-aimé.
« Le sang sort de ses narines, ses yeux versent des larmes, el elle couvre de sang et de larmes le visage de son bien-aimé.
« Le chevalier se met au lit sans mot dire, et dame Vénus se rend à la cuisine pour lui faire la soupe.
« Elle lui sert la soupe, elle lui sert le pain, elle lave ses pieds blessés, elle peigne ses cheveux hérissés, et se met doucement à rire.
« — Tannhäuser, mon brave chevalier, tu es resté longtemps absent. Dis-moi quels sont les pays que tu as parcourus ?
« — Dame Vénus, ma belle mie, j’ai visité l’Italie ; j’avais des affaires à Rome, j’y suis allé, et puis je suis revenu en hâte auprès de toi.
« Rome est bâtie sur sept collines ; il y coule, un fleuve qui s’appelle le Tibre. À Rome, je vis le pape ; le pape te fait dire bien des choses.
« Pour revenir de Rome, j’ai passé par Florence ; j’ai traversé Milan et escaladé hardiment les Alpes.
« Rendant que je traversais les Alpes, la neige tombait, les lacs bleus me souriaient, les aigles croassaient.
« Du haut du Saint-Gothard j’entendis ronfler la bonne Allemagne ; elle